jeudi 30 mars 2017

Œuvres peintes de Kh. Lasram

Œuvres peintes de Khaled Lasram
Une poésie de l’osmose et de l’harmonie




Calligraphie, 1975, ast (74x59)


Abréviations : asp (acrylique sur papier) ; ast (acrylique sur toile) ; ascp (acrylique sur contre-plaqué)





« C’est trop peu de dire que nous vivons dans un monde de symboles, un monde de symboles vit en nous. »




Signes prophylactiques, 1983, ast (85x85)


Khaled Lasram (né le 1er août 1949 à Tunis). Diplômé de l’Institut technologique d’art d’architecture et d’urbanisme de Tunis (1975). Docteur en Histoire de l’art (Sorbonne, Paris I, 1981). Professeur de l’enseignement supérieur à l’Institut supérieur des beaux-arts de Tunis. Il se consacra, en particulier, à l’étude des arts plastiques et des métiers d’art en Tunisie à travers une série d’articles et notamment une monographie sur A. Ben Raïs, artiste précurseur tunisien.
Khaled Lasram est aujourd’hui parmi nos peintres les plus appréciés dans les sphères artistiques. Depuis sa première participation à l’« Exposition jeune peinture » groupant de jeunes artistes de l’ITAAU (XIIè festival international, Amphithéâtre de Carthage, juillet 1975), il se manifesta d’une manière continuelle dans diverses expositions annuelles et collectives et organisa quatre expositions personnelles :
- « Symphonie bleue » ; Galerie Médina (1990)
- « Kaléidoscope » ; Espace Sophonisbe (1993)
- « Eclats de signes » ; Diwan Dar El Jeld (2007)
- « Rythmes et Vibrations » ; Galerie Kalysté (2009). 


Couple de pigeons, 1985, ast (81x75)


            La peinture de Kh. Lasram recèle un monde secret plein d’émerveillement et de magie. Tout un répertoire de formes stylisées, géométrisées, voire abstraites surgissent de l’inconscient créateur de l’artiste pour reconstituer un univers singulier et sublime au-delà de ce que notre raison peut saisir.
            Dans un agencement de couleurs riches et variées, scandées par les contrastes les plus forts ou des effets de tons fondus et légèrement nuancés, le peintre sonde à fond le problème de l’espace. Il réussit à atteindre un équilibre de pureté et de maîtrise qui confèrent à ses compositions toute leur originalité.



Signes et symboles, 1986, ast (50x40)




Les mains de Fatma, 1987, ast (130x80)




Médina, 1987, ast (50x40)




Signes sur fond vert, 1988, asp (47x31)




Signes magiques, 1989, asp (40x24)
                                                                                                          
                                                                                                              


« Symphonie Bleue », Galerie Médina, Tunis (23 mars-22 avril 1990)

« Il semble que tout art commence par la lutte contre le chaos, par l’abstrait ou le divin, jamais par la représentation de l’individuel…Tout réalisme est une rectification. »

             Abstrait, réalisme, rectification, et même individuel, autant de clés (parmi d’autres bien sûr) pour entrer dans le monde rêvé-peint et peint-rêvé de Khaled Lasram. Au commencement, comme dans toute genèse, le réel. Appréhendé à même « l’objet », saisi à bras la toile. Interprété, « ordonné ». Consciemment ? Inconsciemment ?  (Ambiguïté de l’acte créateur) selon une nécessité qui échappe (échappera toujours) à ceux pour qui toute lecture de toute sorte est affaire d’anecdote, excluant l’étrangeté, le bizarre, (ô Baudelaire !) inhérents. Que de traces pourtant dans ces tableaux ! Des traces qu’il suffit de suivre (invitation à l’errance, au voyage) pour se retrouver et se perdre dans un univers (des univers), une culture (des cultures) familiers. Se retrouver et se perdre, seuls moyens (ô patrimoine ! ô patrimoines !) de vivre au souffle de l’œuvre, de s’accorder au rythme de l’artiste. Multiples « tempos » qui transcendent l’anecdote (toujours elle) présente, même « gommée », souterraine, pour tisser une (des) mosaïque (s) de formes et de couleurs, source (s) d’allitérations, d’associations ouvertes…Symphonie Bleue certes parce que l’artiste le veut et nécessaire le titre. Mais là aussi le bleu n’est pas couleur concrète, réelle m ais symbolique, mentale. Semblable au bleu-orange de la terre éluardienne. Ainsi s’accomplissent les correspondances et s’unissent peinture, musique et poésie. Le grand rêve, quoi !

                         Sophie El Goulli (texte de présentation à l’exposition, mars 1990)





Exubérance, 1990, asp (50x34)



 Le rêve défait le réel

"La force du pouvoir créateur ne peut être nommée. Elle reste en fin de compte pleine de mystère. Car n’est pas mystère ce qui ne nous touche pas au plus profond de nous -même."                                                                                
                                                                                                              Paul Klee              
                                                                                                                                   
            Le rêve défait notre « réel » sous l’effet d’autres découpages, d’autres syntaxes. Bousculant les lois physiques, déplaçant les règles de la topologie, il nous fait découvrir un monde inouï. Il nous fait descendre dans l’intraduisible, en nous faisant éprouver la secousse sans jamais l’amortir. C’est que le rêve accueille et satisfait mieux que la réalité de chaque jour notre besoin d’extraordinaire, notre soif de merveille. Comme la recherche du passé, cette évasion dans le rêve ou la rêverie nous est inspirée par la nostalgie d’un paradis perdu que seul l’art peut nous rendre et nous faire retrouver.
            Tout créateur déforme donc le « réel », le transpose, le détruit pour le réinventer. Il ne copie pas, il n’imite pas, mais il recrée de toute pièce un univers parfaitement composé et mis en couleurs. Et l’on pénètre cet univers dans lequel on peut rêver, on peut prier, éprouvant l’émotion la plus noble, dans des lieux inconnus, nouveaux, dont les qualités vont au-delà de toute matérialité.
            Il suffirait, pour nous en convaincre, d’admirer la palette de Khaled Lasram qui expose pour la première fois à la Galerie Médina des œuvres dans lesquelles nous découvrons les secrets d’un monde intimiste plein d’effusion et de magie.
            Sur le support en toile ou en papier se détachent ici et là quelques figures réduites à leur plus simple expression. Sans pour autant se séparer du fond, elles s’inscrivent en graffitis sur une surface toute profonde de suggestions colorées. Dessinées au pinceau, le tracé noir met en valeur leur géométrisme ingénu, enrichissant par sa liaison à la couleur et à la matière une certaine expression picturale au profit d’un espace polychrome et travaillé.
            L’artiste nous fait quitter la toile ou le papier, pour dialoguer avec l’histoire millénaire de la Tunisie. Il porte notre attention sur une multitude de signes qui s’unissent pour évoquer un monde symbolique. (Si l’on se réfère à certaines croyances populaires, le poisson ou l’œil, chargés de significations profondes, deviennent des signes prophylactiques contre le mauvais œil ; on les rencontre sur les portes de certains villages du sud où cette tradition subsiste encore). Recréés dans un cosmos où l’ordre plastique règne, ces mêmes signes constituent, dans la peinture de Kh. Lasram, plus des concepts que des représentations concrètes. Ils atteignent un degré d’abstraction supérieur ; ils deviennent simple trait pour se muer en œil, poisson, peigne, Tanit, croissant...
            Ce qui attire l’attention du spectateur, c’est l’agencement de ces symboles dans une harmonie dont la logique est propre aux œuvres elles-mêmes. Il s’y dégage un certain chaos qui maintient la rigueur de leur organisation spatiale et spectaculaire. Certaines brisures, des lignes en croix et de petits cercles s’unissent pour affirmer le caractère hiéroglyphique dicté par l’alignement des plantes et des animaux désertiques (gazelle, dromadaire, scorpion, palmier).
            Mais ici les couleurs, si elles gardent une valeur autonome, soulignent cependant l’effet contrasté de la nature africaine : les bleus profonds nous renvoient aux frais rivages de la Méditerranée (« Raouad », « Gammarth », « Salammbô », « Carthage », « Hammamet », « Zarsis ») ; l’ocre et le jaune d’or se prêtent à la couleur de la terre saharienne et poussiéreuse (d’où les noms poétiques et évocatoirs de certaines œuvres : « Ach’ar » (couleur du désert, « Aghbar » (couleur de poussière), « A’far » (terre cuite)).
            La traversée de ces espaces arides (« Lieu brûlant), « Configurations désertiques », « Ecoulement de sable », « Husûme » (ouragan », nous fait arrêter à l’ombrage d’une oasis enchantée et fertile aux confins d’un univers irrationnel mais accessible à tous nos sens : « Firdaws » (paradis), « Floraisons colorées », « Adlas » (terre verdoyante) … C’est ainsi que l’artiste crée cette ambiance envoûtante et féérique, où les lignes pures et les couleurs aux contours dégradés s’unissent pour donner une impression magique.
            Mais à tout cela peut s’ajouter une atmosphère de symphonie et de musique, telle que le titre de l’exposition « Symphonie bleue » nous le suggère. Kh. Lasram a peut-être songé à des mélodies musicales, là où l’harmonie colorée peut devenir résonance rythmique et où la représentation graphique contribue à nous emporter vers un monde lointain

                                                               Wacef, « Le Temps » (23 mars 1990)




Groupe de personnages, 1990



La poésie de la synthèse

            Khaled Lasram est le peintre de la trace. Dans son exploration des compositions de notre patrimoine, Khaled Lasram cherche moins un modèle qu’un module où se condense, d’une manière indélébile, l’inscription de notre identité. Dans ce sens, l’exposition que nous propose cette semaine la Galerie Médina est une randonnée à travers les signes qui ont formé, tout au long de notre histoire, l’univers mental et symbolique de l’homme berbère, phénicien, arabe et tunisien. C’est donc la rencontre entre ces différents signes qui ont formé, aux yeux du peintre, la véritable symphonie et la poésie de l’osmose et de l’harmonie.
            Khaled Lasram a réussi le tour de force de réaliser, à travers son exposition, une surprenante synthèse entre des éléments appréhendés jusqu’ici comme étant disparates, hétérogènes, voire antithétiques.
            Le plasticien relit donc l’histoire et la recompose comme un grand jeu de puzzle où l’espace mental se déploie comme un langage tour à tour réaliste, métaphorique, poétique…
            Là, les objets sont hiéroglyphes d’une écriture particulière où le signifiant déloge sans cesse le signifié de sa codification convenue ou conventionnelle. Les motifs traditionnels, poisson, main, œil sont en contiguïté avec Tanit ou Salammbô, d’autres motifs traditionnels, d’une époque plus ancienne. Il s’agit là de reprendre les symboles, de les multiplier indéfiniment selon le schéma d’enchâssement de configuration prolifiques ou de jeu d’écho. Le résultat : Khaled Lasram nous explique par le biais d’un détour original que le Tourâth (le patrimoine) est essentiellement, comme nous l’a montré la sémiologie moderne, un réseau de signes et une production de symboles.
              Ce langage est à la fois peinture, écriture, musique, représentation réaliste et abstraite, explorant le mental et le paysage de sa configuration concrète. « Ainsi, comme l’a noté Sophie El Goulli dans le texte de présentation à cette exposition, s’accomplissent les correspondances et s’unissent peinture, musique, poésie. Le grand rêve.

                                                               Kamel Ben Ouanès*, Le Temps (27 mars 1990)
*(Kamel Ben Ouanès, cinéphile, ancien président de l’Association tunisienne pour la promotion de la critique cinématographique, auteur de plusieurs articles notamment sur le cinéma).




Les signes anciens vivent en nous

             Professeur à l’ITAAUT (Histoire de l’Art), travaillant sur le patrimoine (groupe de recherche à Beit-El-Hikma), auteur de diverses communications et études dans ce sens, Khaled Lasram pratiquait aussi (…) La qualité de ce qui est donné à voir dans cette (première) exposition personnelle ne laisse aucun doute : nous avons là un artiste plasticien, un « chercheur » en art, un créateur véritable. Rendre compte de cet « événement » au sens étymologique du terme, exigerait une analyse approfondie qui dépasse l’habituel papier sur une exposition et qui prenne en considération et les richesses formelles, plastiques indéniables et les apports nouveaux au plan de l’utilisation de signes puisés dans le patrimoine (les patrimoines) et revus, et repensés plastiquement. Ce que seule une revue spécialisée peut se permettre.
-Les « retombées » de vos recherches sur le patrimoine, les patrimoines, sont visibles dans vos tableaux. Est-ce volontaire ?
-Au début, ce fut inconscient puis prenant conscience de cela, j’ai systématisé, reprenant les multiples signes qui émaillent nos patrimoines (signes de Tanit, poisson, œil, croissant…) A voir l’utilisation qu’on continue à en faire en les reproduisant tels quels ou en les symbolisant, il faut se rendre à l’évidence, ces signes loin d’être morts, vivent en nous et pour nous.

                 Tiré des propos recueillis par Sophie El Goulli ; Le Temps, (avril 1990)





Margûm, 1991, asp (60x45)



 Kilim, 1991, ast (98x98)




Sur fond bleu, 1992, asp (53x37)
    



   Formes organiques I, 1992, asp (30x21)




Formes organiques II, 1992, asp (30x21)




Exposition
Kaléidoscope ; Espace Sophonisbe, Carthage (26 mars-10 avril)


            On accuse notre société d’être frappée de torpeur, de condamner chacun à la solitude et de n’être qu’une course aveugle vers une destinée inimaginable. Et pourtant, on n’aura jamais inventé autant de supports à paroles, de lieux d’échanges, d’espaces communautaires. Même les arts plastiques sont des objets de langage. Ils ne sont parfois que cela. Ne cherchez pas, alors, l’image ayant atteint sa perfection, mais suivez le cours de la création dont ils sont, devant nos yeux candides, la démonstration. Oui, notre candeur est indispensable. Sans elle, le courant ne passera pas. L’espace Sophonisbe, largement ouvert, est un espace où la matière modelée par la main de l’artiste trouve sa dimension culturelle, une vie durable propre à défier le temps, quand l’usage aveugle de ceux qui ne cherchent pas à rêver sur elle la maintient dans sa condition de magma informe.
            Vivifier la matière. En d’autres temps, on aurait dit : lui donner une âme. La rencontre d’un concept et d’une couleur est le plus souvent un bel événement. Peindre pour Bacon, c’est rendre possible un surgissement des figures hors de toute figuration. C’est pourquoi il sort si bien, et avec une telle énergie, de la pesante alternative : peinture abstraite ou figurative.
            Prenez les thèmes évoqués dans la peinture de Khaled Lasram, jeune peintre inaugurant sa deuxième exposition personnelle, représentatif d’une nouvelle palette, recherchant plutôt une écriture propre à répondre à son attente de la matière face aux préoccupations esthétiques de notre moment civilisationnel.
            L’intention est touchante quand Khaled Lasram affirme par exemple qu’il travaille comme le maçon, le forgeron, le charpentier ou le bûcheron. La rusticité est au programme. Qu’est-ce qui distingue un tel artiste de l’artisan qu’il évoque, sinon la finalité de l’ouvrage, et sa signification ? Pour l’artisan, l’utile. Mais ne croyez pas que ça sera l’agréable pour l’autre. On ne vit plus sur cette dialectique simpliste.
            Khaled Lasram pose dans l’espace des signes et des figures qui ont cette saine rusticité que l’on aime dans les vestiges du passé, polis par l’âge, ce temps qui passe en laissant son écho.
            La parlerie commence au sein de cet espace, quand l’œuvre posée d’évidence dans son site naturel est sanctifiée par les édiles de la culture. Le commentaire ira bon train. A commencer par celui-ci, qui est modeste. Simple murmure au bord de l’arène où se joue le destin d’une œuvre enracinée dans le terroir, dans la terre : cette grande écritoire de l’homme, qui y cherche encore sa raison d’être. Et des signes cachés.

                                                      Fethi Chargui (journaliste culturel) Tunis 1993     





Les regardeurs, 1993, asp (46x38)



Le gymkhana du regard

            La ligne tremble, mais elle avance sur la surface ; elle fait son chemin. Elle fait son dessin. Elle balise un espace où il fait bon s’arrêter. Ce sont des visions comme on en imagine en attendant le sommeil. Qu’il sait fixer, arrêter, sans les figer, ni les durcir. Elles sont là, hésitantes dirait-on, et pourtant d’une parfaite lisibilité jusque dans le détail qui est charmant. Rêve de ville de voyages. On est en pleine géographique d’évasion. Un délice.
            Cadences larges, sobres, tensions, aplats puissants, Khaled Lasram travaille dans l’ample, la qualité, le monumental. Une centaine de tableaux figure sur les cimaises de l’espace Sophonisbe. Au-delà de tout discours théorique, qui voudrait justifier une telle démarche, il suffit de « regarder », sans intention, sans autre ambition que le plaisir de l’œil, ces compositions qui perpétuent la tradition d’une abstraction faisant la synthèse de l’élan et de la réflexion du construit et de l’instinctif.
            Bref, Khaled Lasram n’a jamais représenté le réel que pour figurer le mental. Il faut que le regard construise son propre gymkhana entre l’ambiguïté de tous les plans, de tous les points de vue qui font tanguer la réalité environnante (…)
            Khaled Lasram a su donner de la sveltesse à un propos monumental, coordonner la masse épurée dans son dessin, son cheminement et une animation alvéolée, un jeu de saillies, de pleins et de vides, de formes géométriques, de lignes et de courbes qui l’allègent, la dynamisent. Il assemble, découpe, « écrit » dans l’espace des figures et des signes, de puissants « totems » qui redéfinissent le dit et le non-dit.
            De la diversité des visions que peut offrir un peintre qui ne s’enferme pas dans un système. On l’avait rencontré en 1990 à la galerie Médina, lors de sa première exposition personnelle. On le retrouve à l’espace Sophonisbe, deux ans plus tard, seul (comme toujours), de sa seule nature le confident, de sa seule émotion le témoin, il regarde le monde, non selon les critères d’une objectivité en passe de devenir un critère de qualité, mais dans une espèce de fixité hallucinée. Même un paysage regagne à être une structure d’abstraction.
            La permanence, la fidélité à ses thèmes font, de l’œuvre de Khaled Lasram, un lieu clos, un champ de forces et de tensions qui échappe aux références du visible, du donné à voir dans la vie quotidienne, de la réalité ordinaire, dont on ne peut même pas dire qu’elle passe dans la peinture de Lasram à travers le crible d’un regard. Le peintre invente son monde, le cadence, le développe avec une alternance de douceur et de force, des tempos qui sont la vibration de ce grand corps pictural. Une sorte de respiration qu’il faut pour aimer percevoir comme le miroir de la sienne. Sans cela l’œuvre reste lettre morte. C’est le risque d’une peinture qui ne s’appuie sur rien d’autre qu’elle-même. Mais quand ça fonctionne, c’est l’enchantement. Comme le poète sait, dans une flaque d’eau, découvrir tout l’univers, Lasram, en quelques techniques et matériaux (tout y passe, peinture, acrylique, crayons de couleur…), fait surgir des villages, des minarets, des paysages… Sur la colline, à l’aube, les arbres déchirent lentement leurs parures de brume et de nacre. La lune brille encore comme l’ongle finement peint d’une coquette qui passerait sa vie à sa toilette. Avec la fraîcheur et l’immédiateté d’un dessin d’enfant, en quelques coups de pinceau ou de crayon, en quelques formes simples qui ne sont pas sans évoquer un grand magicien : Paul Klee, Lasram nous entraîne, comme en se jouant, dans un monde où partout flottent les oriflammes de la fête.
            On y dense les retrouvailles de la terre, de la mer et de la lumière ; rares et précieux.

                                                              Fethi Chargui, Le Temps (3 avril 1993)




Sidi Daoud, 1993, ast (73x60)



Présence des arts, Khaled Lasram à l’Espace Sophonisbe
Entre formel et informes : une délectation pour les yeux


            C’est la deuxième fois, en l’espace de trois ans, que Khaled Lasram, peintre, enseignant à l’Institut d’Art, d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, présente une exposition individuelle. Sa première exposition, en 1990, était intitulée « Symphonie bleue » et avait compris en majeure partie des peintures à l’huile sur toile. Celle qu’il présente aujourd’hui groupe, sous le titre assez recherché de « Kaléidoscope », quelques 90 tableaux, en général de petits formats, exécutés sur papier.
            Cette technique, quoique nécessitant une grande maîtrise dans l’art de peindre, a permis une expression plus spontanée et plus intuitive. Au procédé constructif architectural qui caractérisait les toiles de l’exposition précédente, est substitué ici un style nettement plus souple et plus libre.
            Les thèmes traités sont des plus divers : paysages, marins notamment, portraits, scènes de genre, signes et symboles… tous rendus avec beaucoup de lyrisme et une grande transparence chromatique, qui font de Khaled Lasram un magicien de la couleur. Il ne faut pas cependant chercher dans toutes ces peintures, une représentation exacte de la réalité : Khaled Lasram interprète tout ce qu’il représente, il dépouille la réalité de sa consistance matérielle : on sent, à travers ses œuvres, comme une hésitation entre le formel et l’informe, la figuration et l’abstraction, le reconnaissable et le no-reconnaissable. Dans la plupart de ses tableaux, on reconnaît comme des notations auxquelles les éléments empruntés au réel servent seulement de prétexte : il serait plus juste de parler à propos de la peinture de Khaled Lasram d’un langage plastique, qui possède une grande force de suggestion.
            Peut-être est-ce là une influence de la tendance à l’« aniconisme » de l’art de l’Islam ?
            Mais l’exposition de Khaled Lasram est surtout une fête de la couleur où s’opposent des teintes froides et chaudes violemment contrastées, auxquelles les épanchements lumineux confèrent un singulier éclats.
En somme, c’est là une exposition d’un peintre authentique, profondément ancré dans sa culture et dont les œuvres constituent une véritable délectation pour les yeux.

                                                      Mohamed Yacoub*, La Presse (6 avril 1993)
*(Mohamed Yacoub (1937-2015) ; historien de l’art, un des pionniers de l’archéologie tunisienne, directeur des musées nationaux de Tunisie (1965-1968), conservateur en chef des musées, auteur de plusieurs guides et ouvrages traitant des collections de mosaïques et de pièces archéologiques)



           

Couple de danseurs, 1994, ast (46x37)




Lumières de la médina, 1995, ascp, (120x46




Souvenir de Chénini, 1995, ascp (145x80)




Animaux aquatiques, 1999, ast (220x92)




Oasis, 2000, ast (89x72)




Zoomorphes, 2004, ast (92x71)




Bonhomme, arbre et soleil, 2004, asp (49x34)




Médina-Impressions, 2004, ast (93x74)




Soir de lune, 2006, asp (51x37)




Eclats de Signes ; Diwan Dar El Jeld, Tunis (25 mai-10 juin 2007)
Lasram entre figuratif et abstraction


            Une exposition de peinture de Khaled Lasram se poursuivra tout le mois de juin. Bien que participant régulièrement aux manifestations artistiques de groupe, la dernière exposition individuelle de l’artiste remonte déjà à quatorze ans. Elle fut organisée en 1993 à l’espace Sophonisbe, précédée d’une première à la galerie Médina en 1990.
            - Vous vous êtes enfin décidé à monter votre troisième exposition personnelle, répondant ainsi à un désir pressant de la part de vos amis. Comment expliquez-vous la rareté d’un tel fait ?
            - Je crois qu’une exposition dans laquelle un artiste réunit un nombre important de ses productions ne devrait pas avoir uniquement pour but la vente de ces productions et se réduire ainsi à une simple opération lucrative. Bien plus, elle doit constituer en elle-même un temps d’arrêt afin de permettre à l’artiste de dresser un bilan de tout ce qu’il a pu réaliser pendant une période assez longue. Une vue d’ensemble de toutes ces réalisations permet de saisir une démarche et de déceler les symptômes d’une certaine évolution. Cette évolution ne doit pas être quantitative mais qualitative. L’accession à un degré de maturation de la part de l’artiste n’est pas due en fait à une accumulation mais surtout à une métamorphose, à une remise en question profonde et durable. Lorsque s’opère, dans l’esprit de l’artiste, cette condensation, le moment sera venu de monter à soi-même et au public, la progression d’une recherche. Je crois que tout ce temps de pause, aussi durable soit-il, m’a été nécessaire afin d’acquérir suffisamment une certaine performance, de tracer un cheminement et de mûrir un projet. A ce propos, Gide disait : « Que m’importent les dons, chez qui ne sait pas mûrir ».
            - Le titre de votre exposition « Eclats de signes » demeure, nous semble-t-il, pour certains assez imprécis. Pourquoi ce titre ?
            - « Eclats de signes » est un jeu de mots dont la signification me paraît assez conforme à l’esprit des œuvres exposées. « Eclats » comporte à la fois le sens de quelque chose qui éclate, qui se brise en projetant des morceaux ; il y a de cela dans mes compositions. A travers elles, on perçoit un éparpillement d’éléments qui animent l’espace pictural, un espace sensible et ouvert mais en même temps, dans une fragmentation cubiste des formes et un échelonnement des plans, quelque chose de stable assure une certaine homogénéité et un certain équilibre. « Eclats », c’est aussi intensité de lumière, vivacité et fraîcheur des couleurs. Toutes les traces graphiques, ces signes marqués d’un fin trait, ces formes entremêlées, se fondent dans la matière picturale rehaussées par la vigueur des coloris et les effets nuancés de la lumière.
            - Tous ces signes, ces symboles qui structurent vos compositions sont largement inspirés du patrimoine local. Votre démarche plastique se définit-elle dans une sorte de synthèse entre le passé et le présent, le traditionnel et le moderne ?
            - Dans toutes les circonstances de la vie actuelle, le lointain passé laisse des traces. Les vestiges de notre riche histoire sont là qui m’ont servi de motifs d’inspiration. Des poteries berbères et des stèles puniques jusqu’aux tapis de kilim confectionnés par nos anciennes tisseuses, tout un répertoire de signes et de symboles, ressuscités dans ma pratique picturale, l’enrichissent d’une écriture graphique plus vivante et plus expressive.
               D’ailleurs, l’assimilation progressive d’un langage artistique moderne suscite en nous une double réaction : d’un côté le désir de se relier plus étroitement à la culture occidentale, à laquelle nous rattachent des liens historiques et géographiques, d’autre part, le souci de conserver les traditions qui fond notre originalité, qui fondent nos valeurs propres, notre manière de vivre et de voir.
            Cet effort pour concilier la fidélité au passé avec la volonté de participer à une certaine modernité est aujourd’hui un phénomène presque universel que l’on retrouve tout aussi bien chez les peuples les plus avancés économiquement. A cet attachement à notre passé vient s’ajouter l’attente d’un avenir plein de promesses.
            - Une citation de Malraux résume, dites-vous, votre pensée et la nature de votre style : « …la recherche de qualité que tout art porte en lui, le pousse bien plus à styliser les formes qu’à se soumettre à elle. »
            - A cette question que pose encore Malraux : « Qu’est-ce que l’art ? », nous sommes portés à répondre : « ce par quoi les formes deviennent style ». En effet, l’artiste représente la nature non pas telle qu’elle est mais telle qu’il la sent, telle qu’il la perçoit et la conçoit. Il recourt à des modes conventionnels de représentation en fonction d’une certaine interprétation du monde extérieur. Tout créateur transpose, exprime à sa manière, innove à son tour.
            Réinventant le langage pictural, les artistes du XXème siècle ont évolué vers une désarticulation de l’espace scénographique traditionnel et une nouvelle mise en ordre des sensations s’est imposée. Kandinsky, Klee, Bissière, Matisse, Miro’, Henri Michaux, pour ne citer que quelques-uns, nous ont restitué un univers du regard réduit à quelques signes chargés d’émotion. Ils ont cherché à remonter aux origines, en s’inspirant des arts « primitifs » et des dessins d’enfants. La simplicité de leur tracé, la stylisation de leur dessin poussées jusqu’au schématisme expressif représentent une recherche de complexité, un effort vers une plus grande richesse de signification.
            -Quelle a été la réaction du public face à vos œuvres ?
            -Certains « initiés », appartenant le plus souvent au monde de l’art et de la culture, apprécient avec sincérité et de bon sens mes productions. D’autres, parmi le public, ne savent pas ce que mes œuvres veulent dire. Le message les atteint mal, mais ils sentent quelque part que cela est « émouvant » ; la beauté les touche droit. D’autres encore, plus rébarbatifs, plus obstinés, les plus nombreux sans doute, préfèrent une peinture plus « convaincante », plus « fiable », plus « réaliste » et où le sujet doit demeurer la référence essentielle. Mais ne confondons pas le grand débat abstraction-figuration, non-figuration-réalisme ; il y a des bons et des mauvais partout.

                                                 (Propos recueillis par H. H. ; La Presse, 5 juin 2007) 





Bonhomme, oiseau, palmier, 2007, asp (65x50)




Les yeux, 2007, asp (65x50)



Eclats des signes et des paysages

            Khaled Lasram est un passionné des signes, des compositions et des paysages. Il invite à découvrir ces techniques à travers une exposition qu’abrite actuellement le Diwan Dar El Jeld et qui s’intitule « Eclats de signes ».
            L’exposition de Khaled Lasram a la particularité de proposer des œuvres où l’on trouve un mariage réussi entre des techniques des plus rares. Et artiste a en effet travaillé sur une combinaison de différents éléments dans une bonne vingtaine d’œuvres. Il a effectué constructions qu’il a tenté d’agencer entre elles avec une certaine ingéniosité et une démarche picturale qui lui sont spécifiques. Tantôt, ce sont les lumières de la Médina qui sont immortalisées dans ses toiles de petit format, tantôt il a mis en exergue, à travers ses tableaux de grand format, des configurations désertiques qui donnent au visiteur l’envie de découvrir cette vaste étendue. Ce n’est d’ailleurs pas la seule agréable facette des œuvres de Khaled Lasram. En les contemplant de très près, d’autres formes se révèlent, comme si l’artiste voulait inviter les fans de la peinture à visiter les mystères du désert. Ce mystère, il a tenté de le faire décrypter à travers des œuvres comme « Personnage dans une palmeraie », « Paysage », « Terre en friche », entre autres. Mais le peintre tunisien ne s’est pas contenté uniquement de mettre en valeur les paysages désertiques, il a consacré certains de ses tableaux à d’autres thèmes éloquents et percutants et qui font l’objet de sources d’inspiration chez de nombreux peintres impressionnistes. « Oiseau de feu », « Formes pliées », « Vue lunaire », « Méditerranée », « Margum I et II » sont autant de sujets abordés par Khaled Lasram dans une douzaine d’autres œuvres qui témoignent de la diversité et de la mixité de sa démarche. Et ce n’est pas tout. Des œuvres ont été également consacrées aux impressions tunisiennes, dans leur particularité comme dans leur diversité. S’agissant des techniques, l’artiste privilégie, en plus de l’impressionnisme, l’acrylique en plus des pastels. Mais dans le choix des couleurs, il n’entend pas donner une priorité à telle ou telle couleur. Il a combiné, la plupart du temps, des couleurs chaudes et froides. C’est d’ailleurs cette façon de procéder qui fait la particularité de sa peinture qui revêt d’autre part un caractère authentique et nostalgique à la fois.

                                             Ousmane Wague, Le Quotidien (13 juillet 2007, p.15)





Composition aux petits cercles, 2008, ast (90x70)




Calligraphies et signes, 2008, asp (45x33)




Tanit, œil, poisson, 20018, ast (81x65)




Rythmes et Vibrations ; Galerie Kalysté, Soukra (17-30 janvier)

            Les récentes peintures de Khaled Lasram, exposées actuellement à la Galerie Kalysté, nous dévoilent un monde secret et exceptionnel, un monde chargé de couleurs « vibrantes » rehaussées de traits complexes, hachurés, filiformes et labyrinthiques.
            Toute une constellation d’idéogrammes, de signes et de symboles, répartis dans l’espace pictural, renferment un sens qui se propose au déchiffrement et qui s’y dérobe en même temps. En effet, ces peintures, défiant nos repères, se situent au-delà de ce que peut saisir notre raison. Bien qu’elles soient en premier lieu basées sur des rapports plastiques absolus, ces œuvres gardent cependant en elles-mêmes une certaine évocation de la réalité. Les traces d’éléments plus ou moins identifiables, à peine indiqués par quelques traits, nous renvoient pleinement à travers leur écriture énigmatique, à la profusion de la vie, à l’ordre de l’univers. L’artiste tient à dire qu’il peint l’harmonie du monde. Les toiles qu’il nous propose chantent de tous leurs tons la beauté de la nature. Elles reflètent le doux éclat des paysages tunisiens : l’obsession des bleus évoque l’azur de la mer et du ciel méditerranéens, celle des ocres et du jaune d’or, les étendues désertiques du sud. Leurs graphismes luxuriants nous renvoient aux dessins de tapis, de kilim ou de margûm : signes, symboles, pictogrammes, tout un ensemble de formes spécifiques, puisées dans notre passé, tels ces toiles à cinq branches, ces croissants de lune, ces yeux et ces poissons, donnant vie à la surface picturale avec un intense fourmillement.
            Se livrant à des recherches audacieuses de formes géométriques, l’artiste emprunte à l’esthétique orientale le principe des combinaisons linéaires, des surfaces garnies intégralement et divisées en registres. Sur des fonds miroitants, les compositions s’interfèrent dans une multitude de variations « rythmiques », atteignant un point culminant de limpidité et d’harmonie.
            L’une des meilleures formules que l’on pourrait prêter à la peinture de Khaled Lasram est celle que Roger Bissière, un des peintres de l’Ecole de Paris, tant apprécié par notre artiste, donne à la peinture : la peinture, écrit-il, est « une géométrie vivante de formes et de couleurs, une sorte de géométrie nouvelle et plus complexe où les couleurs et les formes seraient inséparables et réagiraient les uns sur les autres, selon les lois où l’élément forme et l’élément couleur ne formeraient qu’un tout ». Ce point de rencontre du tracé et du chromatique en un tout homogène et cohérent se confirme de la manière la plus nette dans la peinture de Khaled Lasram. Celui-ci résout le problème de l’antinomie apparente entre construction et couleurs. Aux dessins tracés sur l’espace de la toile correspond la couleur qui les exalte.
            Nous rappelons que Khaled Lasram n’en est pas à sa première manifestation. Parallèlement à des participations de groupes, il en est à sa troisième exposition personnelle. S’affirmant dans un style mûr et bien reconnu, l’artiste nous surprend chaque fois par un souffle nouveau qui témoigne d’une approche créative intense.
            Voilà donc une exposition bien différente de ce qu’on a généralement coutume à voir ; une exposition très originale, parce qu’elle offre une œuvre réfléchie et convaincante et qui mérite le déplacement.

                                                                        Wacef A., Le Temps (29 janvier 2009)






 Les masques, 2009, ast (120x81)




Sept figures, 2009, ast (81x65)




Le nombril, 2009, ast (81x65)




Les mythologies de Khaled Lasram

            Avec le temps, les idées se clarifient et la peinture aussi. C’est Le règne de la décantation, celui où la matière peinte, la représentation picturale se mettent à transmettre un sentiment puissant plein d’allégories, de métaphores, de symboles. Et c’est bien le cas de le dire à l’endroit des travaux que nous présente, actuellement, Khaled Lasram, à la Galerie Kalysté, entre « Rythmes et vibrations », l’intitulé de son exposition. Il s’agit encore (à la base) de compositions géométriques mais qui ont fini par admettre les liens traditionnels de la figuration : imbrication d’éléments de la flore et de la faune, personnages qui donnent à ces travaux (acryliques sur toile et gouaches sur papier) une fonction descriptive et indicative, mais aussi ornementale. Et il y n’y a rien de contradictoire aussi à ce que Khaled Lasram ait pu quitter (en apparence) les sentiers battus de l’abstraction géométrique, comme à l’époque des polygones étoilés avec Larnaout et consorts, du côté du Centre d’art vivant du Belvédère, pour exprimer enfin ce sentiment puissant de participation à la vie.

Valeur émotionnelle de la couleur, dynamique du pinceau

            Nous reconnaissons un peintre à sa palette et, chez cet artiste, la couleur conserve toute sa valeur émotionnelle, à travers ces diaprures et cet aspect diaphane, comme dans ses travaux antérieurs. A la différence que le pinceau est ici plus dynamique quand il s’agit des aspects figurés (dessins en relief), faisant apparaître ainsi un monde plein de visions rythmiques et de vibrations chromatiques. Oiseaux, Poissons, Jardin fleuri, Visage, Mains de Fatma, Natures mortes, Médina, Fête foraine… sont autant de titres éloquents qui nous ramènent à ces forces vives de l’éros (contre le thanos), à la participation de la vie donc et à ce retour aux choses du patrimoine, les us et coutumes, l’architecture des lieux, la tunisianité, l’africanité… Bref, tant de mythologies réinventées pour le plaisir du regard, loin de ces anxiétés de la vie brutale.
            Des émotions érigées en symboles et que nous partageons aisément avec l’artiste.
                                                                                      
                                                  Bady Ben Naceur, La Presse (11 février 2009)




 Champs de blé, 2010, asp (40x30)




Homme à la colombe, 2010, ast (100x100)




La ville rouge, 2010, ast (108x80)




La ville bleue, 2010, ast (107x87)




Palmeraie, 2010, ast (108x88)




Stèle punique, 2010, asp (56x40




Hymne à la terre africaine (rencontre avec l’artiste)

            Les peintures de Khaled Lasram se démarquent par leur cachet particulier. Nous les reconnaissons d’emblée grâce à leurs compositions foisonnantes, au miroitement de leurs prismes polychromes et à la variété de leurs thèmes.
            L’artiste nous a accueilli dans son atelier ; un lieu calme et de recueillement, un refuge de la création. Il a travaillé durant cette dernière année sur un nombre important de toiles et de travaux sur papier, faisant preuve d’un patient labeur et d’un esprit innovent. A travers ses tableaux se profile une nouvelle orientation, tant au niveau technique que thématique.
            Un ensemble de toiles rangées soigneusement dans un coin de l’atelier, scintillant de lumière et de couleurs, sont dominées tantôt par des formes architecturales (minarets, coupoles, arcs cintrés, pans de mur…), tantôt par des figures géométriques et désarticulées évoquant des personnages, des animaux ou des plantes, tantôt par des formes réduites à de simples schémas tracés d’un trait épuré. Une multitude d’éléments composites, association de motifs figuratifs et de formes abstraites, imbriqués les uns aux autres, évoluent dans un espace décomposé, éclatant en fragments, mais résolument équilibré et harmonieusement construit. Car c’est là que réside le savoir-faire de l’artiste : « Tout est affaire, nous confie-t-il, d’agencement dans les détails, de distribution équitable des masses, d’une bonne répartition des couleurs, en vue d’assurer à l’ensemble du tableau une certaine solidité. Grâce à un jeu subtil de lignes, de surfaces et de volumes, l’on doit parvenir à atteindre une plénitude chromatique et formelle et à maintenir une parfaite cohérence. »
            Il suffit à Khaled Lasram de jalonner l’espace pictural de larges tracés, de le couvrir de stries et de hachures, de juxtaposer des couleurs « inversées » pour faire jaillir devant nos yeux un univers saisissant, féérique et irréel, défiant toute vraisemblance avec le monde sensible, se générant suivant une logique proprement plastique. Son œuvre est un véritable hymne rendu à la terre africaine et à ses contrées desséchées, aux éblouissants et fertiles rivages méditerranéens, à la vie pétulante et bigarrée de la Médina. Mais ces impressions ne sont saisies qu’à travers un langage purement pictural, dépouillé de sa fonction descriptive, sans aucun recours à l’anecdote ou à la référence à un modèle.
             Un trait fin marque les contours qui séparent les plages de couleurs en aplat, les délimitant par des zones claires et obscures. La profondeur de l’espace se perçoit ici dans la superposition des formes et l’emploi des complémentaires. Plaçant un ocre à côté d’un bleu, un rouge à côté d’un vert, l’artiste cherche ainsi à obtenir, à l’exemple des maîtres fauves, une autonomie par contraste des couleurs, mettant l’accent sur leur expressivité et leur dynamisme. Recourant aussi aux acquis du Cubisme, tant au niveau de la structuration géométrique qu’au niveau du traitement chromatique, il se rapproche, en un certain sens, des œuvres « prismatiques » de R. Delaunay. 
            A la suite des deux dernières expositions, organisées respectivement en 2007 et 2009, les travaux actuels laissent entrevoir sensiblement un style accompli et très personnel. Toujours ouvert à un nouvel enrichissement de son art, Khaled Lasram tente de se dégager de la rigueur de ses œuvres cubisantes d’antan, faisant preuve de plus de verve, s’exprimant surtout dans une manière plus assouplie dans laquelle la régularité des lignes horizontales et verticales s’atténue par le maniement de lignes plus flexibles, plus gracieuses. Opérant sur des qualités plastiques et un souci de rendu pictural, les multiples signes et les motifs récurrents, auxquels nous a habitués le peintre, cèdent la place à l’invention d’un nouvel alphabet iconographique et à une plus variété de sujets : « Le couple épié », « Ménagerie fantastique », « Parmi les algues nagent les poissons », « La tornade » … Le déploiement de couleurs moins intenses, plus tempérées, de teintes veloutées et plus nuancées trahissent les prémices d’une étape nouvelle dans le processus artistique de Khaled Lasram, étape qui se confirmera, d’une façon plus évidente, lors de sa prochaine et prometteuse exposition.

                                                               Wacef A. ; Soukra (6 décembre 2010)




Le couple épié, 2010, asp (55x49)




Ménagerie fantastique, 2010, ast (100x100)




Parmi les algues nagent les poissons, 2010, ast (100x100)




La tornade, 2010, ast (100x100)





             Sur un fond chargé de couleurs, tantôt vives et contrastées, tantôt subtiles et nuancées, se détachent quelques éléments empruntés à la nature, des détails d’architecture, des signes et des symboles, réminiscences d’un passé lointain et qui acquièrent, dans les œuvres peintes de Khaled Lasram, une nouvelle résonance. Un monde profond et intime nous est dévoilé par l’artiste. Un monde qui échappe à l’emprise de la réalité, celui du rêve et de l’enchantement…