lundi 18 juillet 2022





« Le 4ème pouvoir »- pièce théâtrale qui a eu lieu mercredi 22 juin à l’Espace culturel du 4ème Art (Tunis, avenue de Paris)- est une avant-première jouée par le jeune et talentueux comédien Khaled Houissa, sur une idée de Néji  Zeiri et une mise en scène de Abdelkader Ben Saîd.

« Ali » est embauché en tant que journaliste professionnel. Croyant à la rectitude de sa noble mission en tant que rapporteur d’événements, il se propose pour principale tâche la dénonciation des incohérences et des injustices et à défendre  les droits des démunis et des opprimés. Il ne tarde pas cependant à s’affronter à la réalité d’un système corrompu, régi par des administrateurs imbus de leur pouvoir, irresponsables et pervertis. Constamment soumis à des agissements avilissants, découragé, voué à l’échec, le seul moyen de s’en sortir est de dénigrer ses propres convictions. Usant de flagorneries, d’adulations et de flatteries, susceptibles de satisfaire les bureaucrates soucieux de  préserver leurs titres et leur fortune, il va suivre le vent qui tourne ; il retourne sa veste !  Une pièce tellement bien interprétée à voir absolument et à ne pas rater.

                                                                                                                        Khaled Lasram

jeudi 3 février 2022

 


  Deux tableaux illustrant un événement historique mémorable : « la mort du Général  Farhat » 

 

       « …Certains méritent d’être retenus et de faire l’objet d’une étude détaillée, tels, par exemple,…les incidents du Kef et la mort de l’Agha Si Fahat. »                                                                                                    

                                                                                                                                                                 M. Gondolphe





Une toile signée de la main de Yahia Turki m’a particulièrement interpellé. Elle représente un personnage vêtu de  son uniforme militaire : tunique noire maintenue par un ceinturon brodé de fils d’or, pantalon rouge et bottes de cuir, portant sur ses épaules un burnous blanc de la plus belle laine, son fusil à canon à la main et s’apprêtant à tirer. Derrière lui trois personnages debout dont l’un arborant un drapeau rouge à motif d’épée dorée. A leurs pieds, un cadavre de militaire (spahi) se trouve étendu sur terre. Un tronc d’olivier, surmonté par quelques branches touffues, se dresse au second plan. Des cohortes de personnages, enveloppés dans la blancheur de leurs amples vêtements, assaillent la scène de toute part et, au premier plan, quelques-uns gisent sur le sol. Une chaîne de montagne se profile à  l’horizon, coiffée par un ciel violacé annonçant la fin du jour.

Ce tableau illustre la fameuse scène de la mort du Général Farhat (dit Caïd Djebira), Gouverneur de la circonscription du Kef et des tribus Ouled Ounifa, au moment où, poursuivi et traqué par des troupes ennemies, il allait succomber à une salve de feu dirigée contre lui. Cet incident, survenu lors de l’insurrection de 1864 menée par Ali Ben Ghedhahem, a eu une certaine répercussion sur les événements de l’époque. Il a été signalé par maints historiens (1), notamment par Ibn Abi-Dhiaf qui, dans sa Chronique, relata la mort du Général Farhat en lui consacrant une notice  biographique (2).

Cette toile, de petites dimensions (65x45cm), diffère du style habituel que l’on connaît de Yahia Turki, caractérisé par une palette fraîche et lumineuse, l’emploi d’aplats et de traits souples et légers rendant de la meilleure manière l’éclat des paysages méditerranéens et des scènes populaires de la Tunisie. En revanche, cette œuvre qui retrace un sujet historique, est traitée dans une facture purement académique et une gamme de couleurs assez ternes. Elle se situe dans le sillage d’une peinture officielle attachée à la cour beylicale, une peinture d’apparat, qui s’est manifestée à partir de la première moitié du XIXème siècle et qui nous transmet des portraits de souverains ou des scènes glorifiant certains événements historiques  marquants.

Concernant l’œuvre qui nous intéresse, il s’agit vraisemblablement d’une commande que Yahia aurait reçue de la part de Mohamed Chedly, fils aîné du Général Farhat. (3) De nos jours, le tableau est en possession de Mohamed Raouf Farhat, petit-fils de Chedly.


                       




Il existe de même une autre toile qui reprend le même sujet et qui se trouve actuellement au Palais Hassine Farhat à Manouba (4). C’est aussi une commande de la part de Manoubi, fils cadet du Général Farhat, signée par Hatem El Mekki (5). Cette œuvre, traitée d’une manière   académique et conventionnelle, est bien différente du style « audacieux » et très particulier que l’on connaît  de cet artiste. Celui-ci se distingue par une œuvre assez singulière qui ne se situe pas non plus dans le même sillage que celle de son émule Yahia Turki et des artistes de l’Ecole de Tunis. A la  limite du concret et de l’abstrait, les peintures et  les dessins d’El Mekki, traités dans un esprit novateur, sont peuplés de personnages défigurés, d’objets insolites, de constructions tourmentées et de lignes tordues ou brisées.

   

   En comparant ces  deux œuvres qui comportent le même sujet, nous remarquons que chaque artiste avait mis sa part d’interprétation selon son propre tempérament et une manière de faire toute personnelle. Chez El Mekki, les formes sont traitées d’une manière plus nette, le traçage des traits est plus affirmé, le contraste chromatique plus soutenu. Chez Yahia Turki, la scène est chargée de plus de détails, les couleurs sont plus diluées et moins éclatantes, les formes moins accentuées  et les tonalités plus atténuées. 

   Ces deux toiles sont en effet des répliques d’un tableau initial et plus ancien qui a été réalisé vers le milieu du XIXème siècle par l’artiste français Auguste Moynier. Durant son séjour en Tunisie, celui-ci a illustré pour l’éternité et au moment même des faits l’incident mémorable et tragique de la mort du Général Farhat. Cette toile se trouvait auparavant au Palais de Kobbet Enhas, lieu de résidence de la famille Farhat à Manouba (6). A un  moment donné et à la demande du Bey régnant, elle a été transférée au Palais du Bardo, rejoignant la collection de tableaux qui ornaient la salle du trône (7). A la fin de la monarchie, elle aurait été placée à  l’entrée de la salle  plénière du parlement (8). Lors des rénovations qu’avait subies la chambre des députés au  cours des années 1960, elle fut déposée dans les réserves du palais de Kassar Saïd (9).

  Malgré d’amples recherches, je n’ai jamais pu découvrir la moindre trace de la toile originale peinte par Auguste Moynier. (10) Cependant, tout ce que l’on sait de Moynier, c’est qu’il passa quelques années au cours de la seconde moitié du XIXème siècle en Tunisie. Né à Paris en 1820 et mort dans la même ville en 1891, il fut l’élève de Delacroix avant de fréquenter l’atelier de Léon Cogniet. De 1839 à 1845, il expose au Salon parisien des portraits, des scènes historiques et surtout des paysages inspirés de la Vallée d’Oise. On connaît aussi de lui une dizaine de toiles qu’il réalisa entre 1857 et 1864 durant son bref séjour en Tunisie : notamment un portrait de Kheireddine (qui était en ce moment ministre de la Marine (environ 1857), également un Portrait en pied de Mohamed Sadik Bey devant le trône de la grande salle du Bardo posant la main sur la constitution tunisienne de 1861 et un  autre tableau représentant ce même souverain accompagné de son état-major à la m’halla dans le Sahel, en début de la révolte de 1864. (Parmi la suite du Bey, on reconnaît Ahmed Zarrouk, caïd du Sahel, Mustapha  Khaznadar, Grand Visir et Kheireddine, aide de camp du Bey).

  Moynier est notamment l’auteur de deux grandes toiles remarquables, peintes vers 1861 (déposées au Musée militaire national (Palais de la Rose à Manouba), l’une célébrant « Le retour du contingent tunisien de la Guerre de Crimée » composé de fantassins et de cavaliers et à leur tête le Général Osman débarquant sur la plage de la Marsa et défilant en présence du bey M’hammed, de ses ministres et des généraux de l’armée (août 1856) et l’autre toile représentant « La revue du contingent devant le palais de Dar al-Tej à la Marsa » en présence de M’hammed Bey et de sa suite composée notamment de Sadik Bey, héritier présomptif, de Giuseppe Raffo, de Mustapha Khaznadar et du Général Rachid (1856) (11).  Ces quelques œuvres de Moynier, à l’exception de celle relatant la mort du Général Farhat, font aujourd’hui partie de la collection du Musée husseinite de Kasr Said.

   Dans le cas où un heureux hasard nous ferait retrouver le tableau initial de Moynier , il serait en effet intéressant d'établir une comparaison entre les deux versions réalisées par Yahya et par El Mekki afin de dégager les particularités stylistiques propres à chacune de ces œuvres. On peut affirmer cependant que Moynier a eu le mérite d'immortaliser un évènement contemporain en  nous traçant une scène héroïque à travers laquelle le Général Farhat est mis en valeur. Celui-ci est au premier plan,  placé à son poste, intrépide et courageux, affrontant sans fléchir la marée d’ennemis hostiles et menaçants. Le peintre choisit le nœud de l’action, l’instant fatal et décisif où le Caïd allait être atteint par une balle qui causera sa mort. 

   Tel que conçu par son auteur, ce tableau suscite en nous des sentiments de compassion et d’admiration pour ce personnage mythique. Mais qu’en est-il vraiment de lui ? Dans quelles circonstances se fait-il tuer ? S’agit- il d’un héros martyr, qui se sacrifia vaillamment  pour une noble cause ou d’un personnage sans scrupule, comme d’ailleurs le laisse entendre certains chroniqueurs, sans doute, à mon avis, trop impartiaux et loin de toute objectivité (12) A la veille de l’Indépendance, dans un climat d’excès de patriotisme et de glorification des valeurs nationales, on a profané sa tombe. Dépourvue de son épitaphe sur lequel étaient inscrits des vers élégiaques exaltant la bravoure et les actes héroïques du défunt, sa tombe a été impunément rasée à même le sol. (13)  

    Né vers 1820, ce jeune mamelouk du nom de « Pointus » fut kidnappé sur les côtes crétoises par des corsaires pirates ; il n’avait alors qu’une huitaine d’années. Introduit au  palais du Bardo,  on lui choisit le nom de Farhat (habituellement précédé, en signe de respect, par le surnom  (« konia ») d’Abou al-Massarra). (14) Il reçut une éducation soignée en apprenant la langue arabe et quelques notions relatives au culte et aux obligations rituelles. Doté d’une belle voix, il était, selon le témoignage d’Ibn abi Dhiaf, « un prodige de Dieu dans la psalmodie du Coran ». (15)

 Affecté au service du Bey Ahmed 1er en tant que Odha Bachi (chef de chambrée), une fois sa majorité atteinte, il gravit rapidement tous les  échelons de la hiérarchie militaire, passant du grade de Qa’imaqam et Commandant de la garde personnelle du Bey Ahmed puis de son successeur Mhamed, à celui de Amir-liwa (Général de brigade). Il participa en 1837 à l’arrestation du Ministre Chakir et fut chargé, sous le règne de M'hamed Bey, de rédiger les intendances des greniers de l’Etat (la rabta). En 1855, il est nommé agha de l’ojak du Jérid  (Commandant de la garnison militaire), puis amir al-umara (Général de division) et enfin agha et caïd gouverneur du Kef et des tribus Ouled Ounifa. Il cumula plusieurs autres fonctions : ambassadeur d’Ahmed Bey à Tripoli et de Sadik Bey à Naples, Président du Tribunal Criminel de Tunis (août 1860- mai 1861), Conseiller et Directeur du Ministère des Affaires étrangères (mai 1861-février 1862). 

 Membre du Conseil suprême en 1860, il se joignit à  Kheireddine (Président du Conseil) et au Général Hussein (Président de la municipalité de Tunis) ainsi qu’à d’autres membres du conseil en refusant d’apposer sa signatures au projet de loi proposé par Mustapha Khaznadar, Premier Ministre, (accusé d'ailleurs de tant de cupidité et de prévarication), en doublant la majba (impôt de capitation) qui passa de 36 à 72 piastres et qui allait être  la cause effective et immédiate du déclenchement de l’insurrection  populaire de 1864 (16). En évoquant la misère de la population déjà lourdement accablée par les charges fiscales, le Général Farhat tente de convaincre le Bey de revenir sur cette décision qu’il juge préjudiciable et injuste. Il éprouva même tant de culpabilité d'avoir été contraint, quelques mois auparavant, de confisquer les tentes et les moindres biens de tous ces nomades démunis et incapables de payer l'impôt. Sa plaidoirie s'avéra pourtant vaine. (17)                    

Habitué à une règle de conduite très stricte et une discipline sans faille, élevé dans l’obéissance et l’accomplissement du devoir, il s’était incliné devant l’ordre impérieux émanant du Bey incitant tous les gouverneurs résidant à la capitale à rejoindre leurs districts afin de prélever les impôts  et prendre des mesures répressives en vue de mâter la révolte et de rétablir l’ordre. Cependant, si certains d'entre eux, craignant d'être attaqués par les bandes rebelles, n'ont pu atteindre leur chef-lieu, d'autres, barricadés dans leurs villes, réussirent à s'enfuir la nuit par terre ou par mer pour rejoindre la capitale. 

 Le Bardo ne disposant plus de troupes régulières, le Caïd Farhat quant à lui ne pût obtenir le renfort d’une escorte  armée. Malgré la  dissuasion de ses subordonnés qui lui conseillèrent de renoncer à cette périlleuse expédition (18), malgré surtout la crainte d’être taxé de couardise et de manque de bravoure, il prit la ferme résolution de se  diriger vers Le Kef, avec une escorte de cent cinquante spahis.

 Arrivé au lendemain de la journée du 16 avril 1864 (9 dhul-qi’da 1280) au défilé de khanguet al-Guédim, situé en avant du pont romain à une vingtaine de kilomètres de la ville du Kef, il est tombé dans un guet-apens tendu par les révoltés. Appartenant à plusieurs fractions de tribus telles que Ouled Ghanem, Ouled Yacoub, les Zghalma, les Charen, les Ouergla et bien d’autres, un millier d’hommes armés de fusils à pierre et de poignards, affluèrent de toute part. Malgré la mise en garde de ses subordonnés qui cherchaient à le persuader de rebrousser chemin, il répugnait de montrer des sentiments de crainte et se hasarda à livrer un  combat de vive force en affrontant les continuels assauts dirigés contre lui.

 Mais à la suite d’une défection de sa garnison, parmi laquelle beaucoup étaient originaires des mêmes tribus (19), ces derniers ne tardent pas à se disperser et à se rallier aux insurgés. Il y eut une débandade générale et il ne resta plus à ses côtés qu’une poignée  de fidèles. Au milieu des détonations répétitives d’armes à feu, son cheval fut atteint et s’affaissa sous ses pieds. Il reçoit à son tour un coup de feu au front et se met à saigner abondamment. S’appuyant contre le tronc d’un olivier, il continue à se défendre avec acharnement jusqu’au bout de ses forces. Mais vers le soir, un coup de fusil, tiré à bout portant, l’atteint en pleine poitrine. Il succomba avec les huit hommes de sa suite.

 

                


     « L’endroit où fut assassiné Le Général Farhat » ; Extrait d’une carte d’état-major de la ligne télégraphique Tunis-Le Kef, dressée en 1879, éditée par E. Andriveau-Goujon,  auteur : Capitaine Isodore Derrien (1839-1904).                

 

L’olivier sous lequel le Général Farhat trouva la mort demeura pour quelque temps un authentique témoignage de cet incident tragique, relaté par tant de témoins l’ayant vécu. Vers 1950, cet arbre a été coupé et brûlé. (20)

Malheureusement, cette triste nouvelle a été accueillie par les héros de la résistance avec un  sentiment de victoire et de vengeance. Le général Farhat incarne à leurs yeux l’emblème du pouvoir. Il devait donc payer de sa propre personne les actes de répression causés par  cette haïssable race de caïds, de mamelouks et autres commis du Makhzen auxquels il appartenait et qui n’ont cessé depuis longtemps de les maltraiter et de les spolier de leurs biens. (21)

 En revanche, Ali Ben Ghedhahem, un lettré de la tribu de Majer et chef de la résistance, contesta vivement l’assassinat du Caïd Farhat. Il refusa même d'accepter en cadeau la cartouchière du défunt, son fusil à canon et son baudrier. « Quel délit, s’écria-t-il, aurait commis cet assassiné dès lors qu’il n’était là que pour servir et exécuter des ordres suivant le besoin ? » (22). Il pressentit cette mort comme un mauvais présage en reprochant aux cheikhs des tribus d’avoir commis un meurtre qui non seulement ne servait pas la cause de leur lutte mais qui risquait d’attiser la colère du souverain et de son entourage. Il avait bien raison de le penser puisque une escorte armée menée par le Général Rustum, Commandant de la garde beylicale, a été envoyée en début du mois d’août, afin de pacifier la région du Kef et châtier les tribus responsables de la mort du  Caïd.

 



            
 Les insurgés prisonniers sont amenés devant le Bey dans la cour du Bardo pour écouter leur sentence


 Tout en étant conscient de l’état d’extrême misère que subissent les populations autochtones, si longtemps pressurées et exploitées férocement par d’insatiables et incrédules commis de l’Etat , le Général Farhat ne pouvait en aucun cas faillir à la déontique tâche à laquelle il était destiné. Son rôle de caïd faisait impérativement de lui, sans la moindre restriction, un parfait agent d’exécution. Il ne pouvait qu’obtempérer à l’ordre émanant du Bey, celui d’être redevable de la perception des impôts, du maintien de la justice et de la sécurité de son caïdat. 

 Intrépide dans le combat et doté d’une nature inflexible et intransigeante, il montre un acharnement et une ardeur tenace dans la poursuite de sa lutte. Il fit ainsi preuve d’abnégation et de dévouement total à la seule cause qu' il était tenu de défendre, mettant en avant son devoir d’allégeance et son implacable obéissance à son souverain.

 Pourrait-on le considérer de la sorte comme un être dépravé et corrompu, ayant agi par des actes répréhensibles et blâmables ou alors, était-il plutôt un personnage méritant et  digne d’estime, ayant accompli loyalement les tâches qui lui ont été assignées en bravant avec audace et courage et au péril de sa vie le danger ? Les uns voient en lui un héros, les autres un traître. Il est un héros, dit-on, car il a respecté, jusqu’à son dernier souffle, ses obligations militaires. Homme de guerre, excellent cavalier et fin tireur, il défia orgueilleusement la mort. D’un autre côté, il est jugé impunément comme un être irrespectueux qui n’a fait que défendre les abus  d’un régime impopulaire et répressif. Associé au pouvoir et à ses symboles, son héroïsme a été de ce fait contesté dans sa nature même.

Tout en condamnant les excès de dépravation et de pillage auxquels se sont livrées certaines tribus rebelles,  Ibn abi Dhiaf soutient l’idée que le Caïd Farhat ne méritait pas la mort alors même qu’il avait plaidé contre le doublement de la mejba. A plus forte raison, « il considérait ce surplus d’aide (financière) comme une énormité et tant de fois il lutta pour son application » (23).                                                                        

                                                            "Créature de Dieu, véritable prodige

                                                                          Sur qui pèse la main de la fatalité

                                                                          L'homme, comme un forçat lentement se dirige

                                                                         Vers il ne sait quel gouffre ou quelle éternité." (24)                                                                                                                                                                                               


                                                                                                                                    

 (1) Cf. Bice Slama, Ch. André Julien, « L’Insurrection de 1864 en Tunisie », MTE, 1967 (pages : 17, 24, 25, 47, 118) ; Marcel Gondolphe, Les incidents du Kef et la mort de l’Agha Si Farhat, in « La Revue Tunisienne », 1923, pp. 142-151 ; Jean Ganiage, « Les origines du Protectorat en Tunisie (1861-1881) », MTE (2è éd. , 1968)  ; Lotfi M’Raihi, « Ali Ben Ghedaham, le Bey du peuple », Atalas Editions, Tunis 1999 (en langue arabe) ; Hamdi Raiss, « La révolte de la Mejba en 1864, in « Jeunes Tunisiens, Exprimons nos talents », 15 juin 2008 ; Archives nationales de Tunisie,  Dossier 1051 : le meurtre de l’agha Farhat (28 documents « la révolte de 1280); "La révolte d'Ali Ben Ghedahem 1864", v.1 (un ensemble de documents concernant la crise du pouvoir en Tunisie et les troubles de l"année 1864, notamment sur le Général Farhat: pp. 37- 38, 45 (en langue arabe).

(2) Ahmed Ibn abi Dhiaf, Chronique intitulée « Ithâf ahl az-zamân, vol. 5, pp. 138- 158, 159 ; vol. 8 (biographie n° 357), pp. 133-135, MTD, Tunis, 1984 (en langue arabe). 

(3) Chedly ben Farhat (gouverneur de Nabeul) était surtout apprécié dans les milieux littéraires en composant  des poèmes panégyriques.  Cf. Md Sadok Bessaïs «Cheïkh Md ben Othman Senoussi, sa vie et son œuvre», Tunis 1976 (en langue arabe), pp. 55, 58, 119, 198 ; Cf. Md Sadok Bessaïs « « Mémoire sur l’affaire tunisienne de Md Senoussi», (en langue arabe), (chap. 3, Md Chedly ben Farhat, pp. 331-335).

(4) Ce palais appartenait à Ali Zarrouk (arrière-petit-fils de Md Arbi Zarrouk, ministre des Finances de Hamouda Pacha Bey). Il  l’avait reçu en héritage  de son beau-père le Général Rustum.  Ce dernier l’avait construit  au début du XIXème siècle dans un style architectural italianisant).

(5) Madame Kaouthar Louzir a eu l’amabilité de m’envoyer le cliché du tableau signé par El Mekki figuant dans ce texte. (Madame Monique d'Estienne d’Orves, épouse du feu docteur Hamadi ben Hassine Farhat,  m’avait remis un album-souvenir réalisé en août 2006 par Kaouthar Louzir. Cet album intitulé « Un homme, Hamadi Farhat, et son lieu d'ancrage Hergla », comporte quelques renseignements intéressants sur la famille Farhat. .

 (6) Le Palais de Kobbet Ennhas fut construit par Mohamed Rachid Bey vers 1756. Quelques monarques husseinites y résidaient. Il fut ensuite occupé successivement par le Gl Farhat et le Gl Rachid.

 (7) La salle du trône du palais du Bardo étaient garnie par 65 œuvres de peintures. A la proclamation de la République, une partie de ce fonds  a été reléguée à la cave du palais. Une autre partie a été envoyée au Musée du Bardo et, plus tard, durant le mandat de Bourguiba, une troisième partie  fut placée au Palais présidentiel de Carthage.

(8) Dans son article « Les incidents du Kef et la mort de l’Agha Si Farhat », Marcel Gandolphe mentionne   qu’ « un tableau à l’huile, placé dans une salle du Palais de Kassar-Saïd, retrace la scène de la mort de Si Farhat. Ce dernier, grand et bel homme, adossé à un olivier, fait face à l’ennemi.» 

(9) C’est au Palais de Kasr Saïd qu’a été signé le 12 mai 1881, en présence de Sadik Bey et de ses ministres, le traité du Bardo qui marqua l’établissement du protectorat français en Tunisie. Un siècle plus tard, en 1981, on a tenté d’installer dans ce palais un « musée d’histoire moderne et contemporaine de la Tunisie », en y réunissant un certain nombre de tableaux de peinture, du mobilier, des documents, des médailles et toute sorte d’objets d’apparat ayant appartenu à la dynastie husseinite. Cependant, l’inauguration de ce musée n’a jamais eu lieu. Ce n’est que quelques décennies plus tard, en  novembre 2016, à l’initiative de la fondation Rambourg (créée en 2011 et basée à Tunis, ayant pour fin de préserver l’héritage culturel de la Tunisie) et en coopération avec l’Institut National du Patrimoine, que fut organisée, au sein du Palais, une exposition intitulée « L’Eveil d’une Nation ». Tout récemment, en mars 2O19, le Palais de Kassar Saïd,Said, rebaptisé « Palais des Lettres et des Arts », rouvrit ses portes au public, inauguré par une exposition intitulée « La Régence de Tunis…Fenêtre de la Méditerranée.

(10) Soulignons qu'il existe de ce tableau une reproduction photographique en noir et blanc parue dans "La Revue Tunisienne illustrée", novembre 1922 (article du Commandant Duvet : Chronique de l'armée tunisienne), ainsi qu'une autre reproduction du même tableau dans "La Revue  Tunisienne" du 30 avril 1935, n° 53, p. 13.  

 (11) Ces deux tableaux de Monier n’ont pas figuré au Salon de Paris. « L’Illustration » (n° du 30 juin 1855) s'est contenté de reproduire la silhouette d’un soldat du contingent).  

 (12) Évoquant ses souvenirs familiaux, l’une de mes grands-tantes, Kmar Baccouche (1898-1992), m’avait entretenu de l’héroïsme de son aïeul maternel, le Général Farhat Caïd Djebira, mort, disait-elle, pour une noble cause ! Le charisme de ce personnage légendaire, dont la vie, en tant que Caïd, chef de la méhalla,  a été avant tout   consacrée à l’exercice du pouvoir, a longtemps aiguisé ma curiosité. Il fut l’un des défenseurs des populations démunies contre l’imposition excessive des impôts. Il semble de ce fait que son image n’a pas toujours été conforme à cette physionomie dépréciative que certains historiens lui ont accolée.

 (13) Le Général Farhat a été inhumé le vendredi 15 dhul-qui’da 1280/22 avril 1864, en présence du Bey et des dignitaires, à la zaouia de Sidi Abdelwahab, un des disciples du Vénéré Saint Sidi Belhassen Echadhouli. Ce sanctuaire est situé aux environs de Manouba et du palais de Kobbet Ennhas, lieu de résidence du Général.  Sa tombe, ayant perdu toute trace, un vieux gardien de la zaouia, avec sa mine renfrognée, se contenta de me  désigner par un   geste vague de la main  l'emplacement d'origine de la sépulture..

(14) Deux généraux mamelouks portent  le même nom de Farhat. Ils sont beaux-frères : Farhat Caïd Jbira épousa Emna (Maymouna) et  Farhat (général en chef de la cavalerie) épousa sa sœur Kabira. Toutes les deux sont les  filles de Béchir fils de  Slimane Kahia (Mamelouk d’origine circassienne, Ministre de la Guerre sous le règne de Mahmoud Bey puis d’Hussein  Bey). ( Farhat Caïd Jbira a eu quatre enfants: Zannoukha, Chedly, Mannoubi et Habiba).

(15) Le précepteur (meddeb), Mohamed al-Makni, qui  se chargeait de l’éducation des jeunes mamelouks du palais lui avait appris quelques chapitres du Coran. Cf. Ahmed ibn Dhiaf, « Chroniques », op cit., vol. 8, p. 133 et 134. 

(16) Dans son ouvrage « La Tunisie Pré-coloniale », Mustapha Kraïem note que : « Le Général Farhat reconnut, lors de la réunion du conseil beylical pour examiner la possibilité de doubler le montant de la mejba, que pour faire acquitter les 36 piastres, il faisait vendre jusqu’aux tentes et menus biens des Arabes bédouins qui demeuraient  à la merci du froid et de la chaleur. », STD, 1973, tome 1, p. 341.   

(17) Cf. Ibn Abi-Dhiaf, op cit., vol. 8, p. 133.

(18) Son adjoint au Kef, al-Arbi Guayès et le Caïd des Drid à Teboursouk, Ibrahim ibn Azzouz lui envoyèrent par écrit afin de le prévenir du grand danger qu'il pouvait  encourir et de revenir sur sa décision d'affronter le combat.

( 19) Les Ouled Ounifa se composent d’une demie douzaine de sous-factions (‘urùch(s) dispersées sur toute la région nord-ouest du pays.

(20) Cf.  Nouri Boudali, « Protectorat et Indépendance »,  Imprimerie Al Asria, Tunis, 1992, p. 25.

(21) Cf.  Bice Slama, op cit., p. 35.

(22) Ibn abi Dhiaf, op cit., vol. 5, p.159.

(23) Ibid, vol. V. p. 155. 

(24) Tiré d'un  recueil de poèmes éditées par l'auteur, Salah Farhat, intitulé "Chants de l'Amour", (p. 62,"La destinée suprême").

(Salah Farhat (fils de Chedly): avocat, l'un des fondateurs du Destour, dont il fut Secrétaire Général de I923 (date de départ de A. Thaalbi en Orient) Jusqu'en 1985, date de son décès).     

                                                                                                                                                                                                                                                                Khaled Lasram, septembre 2012