dimanche 11 septembre 2016

Cheikh Mohamed Ali Lasram, un esprit averti et illuminé




  Ces nobles figures Cheikh Mohamed Ali Lasram, un esprit averti et 
illuminé, « La Presse » 16 novembre 2005






Le Cheikh Mohamed Ali Lasram, de par son enseignement, durant trente années, à l’Université zeïtounienne (section charî'a et usûl-ad-dîne) puis au lycée de jeunes filles de la rue du Pacha, en tant que professeur d’histoire et de pensée islamique, de par ses prêches du vendredi à la mosquée du Kram, après la disparition du Cheïkh Naceur al-Béhi, ses conférences surtout qui connurent un grand succès, (1) a entièrement voué sa vie au savoir et à la prédication.

Esprit averti et illuminé, il avait l’art du discours. Il rendait accessibles pour l’esprit les questions les plus ardues, les plus obscures, discernant le vrai du faux, écartant, par un raisonnement fondé, une analyse objective et un esprit critique, toute absurdité, toute fabulation éloignant les faits d’une vérité absolue, rationnelle et concrète. Gardant toujours un sens du réel et refusant toute pensée 
déréistique, la religion prenait ainsi pour lui la dimension de la raison, elle devenait un moteur de progrès social et de développement.
  
L’homme de foi et du savoir scientifique

Eloquent orateur, il séduisait son auditoire par un discours alimenté par ses fréquentes lectures d’ouvrages de toutes sortes, allant des traités d’usûl al-fiqh à l’exégèse du Coran, à la littérature et à l’histoire, mais aussi aux sciences exactes et appliquées, dont il était féru et dont il puisait les éléments dans les encyclopédies et revues qu’il recevait périodiquement et qui constituaient un rayon spécial dans sa riche bibliothèque. « S’armer du savoir scientifique et technologique afin d’accéder au progrès, affronter la modernité tout en étant attaché à sa foi et à ses racines historiques », telle était sa devise. Tout en prenant en compte la réalité d'un contexte toujours changeant, toutes les questions qui ont trait au dogme nécessitent, à son avis, un éclairage bien pensé, un effort de réflexion. Cette tâche incombe strictement au mujtahid, seul capable d'une interprétation juste et adéquate du texte coranique   et des sources fondamentales de la législation islamique, en vue d'une conciliation avec les exigences et les nécessités de la vie moderne.

En guide éclairé, Cheikh Ali œuvrait pour un Islam actualisé, surtout un Islam de tolérance et d’ouverture. Il prenait souvent position contre tout extrémisme se dissimulant sous le voile de la religion et défendait ainsi les principes et les valeurs d’un Islam puisé dans la pureté de la foi et l’appartenance culturelle. Mais c’était également, ne l’oublions pas, un homme fort pieux, plein de dévotion, attaché de toute son âme à sa foi, vénérant d’un amour profond et sans limite la personne du Prophète. Il était surtout, et c’est peut-être là sa plus grande qualité, un homme modeste, simple, qui n’aimait point le faste, et les revirements de fortune qu’il connut à certains moments ne l’avaient point effrayés.





Lettre de la part du Cheikh Taïeb Siala (2) adressée à Si Belhassen Lasram à l'occation de la réussite de son fils Md Ali à la 'Alimia, datée du 5 cha'bâne 1364 / 16 juillet 1945.

  


 Document écrit et signé de la main du Doyen de la Grande Mosquée, Cheikh Mohamed Tahar Ben Achour, stipulant que le Cheïkh Md Ali Lasram, ayant réussi au concours des "sept postes (disponibles) du Tadrîs", assurera ses cours à la capitale (11 octobre 1947).




 Le meilleur lauréat du tadrîs avait exclusivement droit à une recommandation de la part du Bey, (calligraphiée au calame et portant le Sceau beylical), soulignant son mérite d’être traité avec "bienfaisance et respect, déférence et considération" (23 janvier 1948).




Nomination du Cheïkh Md Ali Lasram au grade de Moudarris  2è catégorie (7 mai 1953).


Réunion familiale devant la villa du Kram, jour de l'obtention du Tadrîs 3è catégorie ( (5 oct.1947). (Les Cheikh portant turbans, de g. à d. : Kameleddine Djaït, Mohamed Mestiri, Belhassen Lasram et son fils Md Ali ; ceux portant un   fez : Mohamed Mizouni, Moncef Djaït, Mohamed Fareh, Md Ali Lakhoua); ceux habillés à l'européenne: Salah Bey, Youssef Djaït, Mohamed Lasram, Habib Bey, Azzouz Lasram, Slaïem Ben Ammar)


La compassion qu’il ressentait à l’égard de son prochain faisait que sa maison était un lieu d’accueil, de salut et de refuge pour toute âme tourmentée ou à la recherche de vérité. Il y recevait chaque jour, après la prière d’al-maghrib, des gens qui venant quérir les conseils du Cheikh Ali, qui venant le consulter sur des questions privées ou publiques : des querelles de familles, des couples en désaccord, des tâlib ‘ilm en quête de fatwa, des nécessiteux à la recherche d’une âme généreuse. Et les questions d’héritage, de legs, de dette, de clauses que tous, des plus humbles aux plus imposants, devaient au Cheikh, dont les paroles déterminantes étaient recueillies pieusement et exaucées sans aucune tergiversation. Se considérant lui-même comme pauvre parmi les pauvres, ne le vit-on pas souvent à la mosquée de Médine passer de longues heures à la soffa, là où se tenaient les compagnons du Prophète les plus démunis et les plus indigents ? 


Cheikh Ali est né le 8 rajab 1337 (8 avril 1919) dans la demeure ancestrale qui domine la place Romdhane Bey. Sa mère, Kalthoum, (3) est la fille de Hasouna El Haddad ach-Chérif al-Andalousi, amine des Andalous (chef de la corporation) et amine des chaouachya. (4) Le jeune Mohamed Ali entra à l'école primaire Khéreddine. (5) Parallèlement, les deux meddebs (répétiteurs), Cheikhs Mohamed S'aïd et Béchir Za'bar, se sont relayés pour lui faire apprendre, en privé chez lui, le Coran. C'est aussi grâce à Mlle Réfalo, qui venait chaque soir lui assurer des leçons de français, qu'il put maîtriser la langue de Voltaire. S'il avait appris à la prononcer correctement, il gardait cet accent assez singulier en faisant rouler les r. Sa prédilection pour la littérature arabe et son penchant pour les poètes modernes, pour le "prince des poètes" Chawqui, le poète irakien Ma’rouf Roussafi, et notamment le "poète du Nil" Hafez Ibrahim dont il avait, tout jeune, appris par cœur tout le "Dîwân", le prédisposaient à poursuivre des études à la Zeïtouna. (6) Il obtint ainsi en 1939 la Ahlia (diplôme d'aptitude) et se consacra depuis, en parallèle, au sport,  à la gymnastique, au lancement de poids, et surtout à l'haltérophilie dans laquelle il excellait. Il adhéra au club sportif de la Jam’ia Nâsiria (7) et se passionna aussi pour l’équitation et la plongée sous-marine. Grâce au bénéfique contacte et à la prestance du militant nationaliste, Mahmoud El Materi, médecin de la famille et surtout ami d’élection du Cheikh Mestiri, le jeune Md Ali adhéra, au début des années 40, avec son frère Md Habib, au Parti du Néo-Destour. (8) Entre-temps, son parcours à l'imposante université zeïtounienne lui permit d’obtenir successivement le Tahsîl (semblable au baccalauréat) (1942), la 'Alimia (licence) (1945) et le Tadrîs qu’il décrocha en octobre 1947 avec mérite. (9) Parmi ses professeurs les plus influents, son beau-frère Cheikh Mohamed Mestiri ainsi que Cheikh Ahmed Ben Miled avaient tous les deux exercé sur lui un prestige sans limite.

  

Registre du tâlib Md Ali Lasram (date d'inscription en 1ère année :21 joumâda 1, 1353 / 1er octobre 1934).




 Appréciations du Cheikh Ahmad Ben Milad (assurant le cours de 1ère année : "fiqh Mayâra") (1934)
  





Photo Soler Pavia,Tunis, 1946





  Un coin de l’assemblée organisée à la bibliothèque de la Cité zeïtounienne, lors du troisième et dernier Congrès (1-3 novembre 1953). Parmi les assistants, Cheikh Mohamed Ali Lasram, 2è rang à gauche (rapporteur de la commission générale de propositions) et son beau-frère, Cheikh Kameleddine Djaït (rapporteur de la commission de l'enseignement public) ; « Revue zeïtounienne »,1953, t. 8, vol. 9, n° spécial, p. 507).



   

Acte de mariage : Suite à la formule d’invocation prononcée en préambule par l’Imam Cheikh Md Tahar Ben Achour, Recteur de la Grande Mosquée, les deux walî, représentants des deux futurs époux  : "l’Eminent" Cheikh Md Aziz Djaït, Cheikh al-Islam al-Mâliki et Ministre de la Justice (père de Férida) et "l’Honorable" Si Belhassen Lasram (père de Md Ali) ont donné leur consentement. Cet acte a été conclu par devant deux notaires : Haj Md Lahbib Lasram et Ahmed Ben Jaafar qui ont apposé leurs signatures (khanfûs), en date du 13 dhoul-qi’da 1367 / 16 septembre 1948.



Le cénacle et les grandes figures de proue

Ayant obtenu son diplôme de fin d’études, Cheikh Ali épousa Férida, fille cadette du Vénérable Cheikh al-Islam Mohamed Aziz Djaït. (10) Cette heureuse union lui avait offert l’occasion de fréquenter assidûment son ancien professeur et désormais beau-père. Chaque après-midi, hivers comme été, il ne manquait presque jamais de se rendre à la driba (vestibule, salle à l’entrée de la maison) où le Grand Cheikh recevait habituellement ses condisciples et ses anciens tâlib. Les fructueux débats et les discussions sur diverses questions pointues ouvraient au Cheikh Ali de nouveaux horizons et lui révélaient des éléments de connaissance jusque-là insoupçonnés. « Le savoir, avait-il lui-même affirmé, ne peut s’acquérir uniquement par la lecture des textes et la consultation des livres, mais aussi et surtout par la clairvoyance et l’acuité d’un maître, par son esprit d’analyse et de discernement. Le poète disait, à juste titre : « Il est indispensable qu’un Cheikh te révèle les objectifs du savoir, Sinon, la moitié du savoir sera perdue ».

En effet, Cheikh Md Aziz Djaït, auquel était très attaché Cheikh Ali et pour lequel il témoignait une haute considération, ainsi que Cheikh Md Tahar Ben Achour et Md Fadhel Ben Achour, de part des liens de famille qui les unissaient à lui, avaient particulièrement eu une large contribution dans sa formation intellectuelle. La liste de ses maîtres, dont les noms revenaient souvent dans sa bouche est longue, citons-en quelques-uns : Cheikh Mohamed Kalbousi (lectures coraniques), Arbi Mejri (linguistique), Mohamed Allani (rhétorique), Abdelhamid Djaït (fiqh), Mohamed Naccache (tasrîf), Amor Adassi (méthodologie du fiqh), Taïeb Tlili (adab), Mohamed Ben Mahmoud (tasrîf), Abdelaziz Bellamine (tawhîd), Mohamed Taïeb Saddam (adab), Salah Melqi (méthodologie de droit), Béchir Za’bâr (tajwîd), Ezzedine Belkhodja (géographie)...

Son amitié avec « Cheikh al-udabâ », Arbi Kabadi, (11) lui ouvrit l’accès à une initiation parfaite de la littérature classique et de la poésie arabe. Faisant partie du cénacle groupé autour du Cheikh Kabadi, ce dernier le prit particulièrement en estime et grâce à la fréquentation assidue du maître, il apprit par cœur des centaines de vers qu’il ne cessait de clamer à longueur de journée, sans répit et sans faille.

Passant le plus clair de son temps dans son cabinet à compulser ses traités de fiqh ou de rhétorique, il transcrivait à chaque page des notes marginales (hawâmich), brèves remarques allant jusqu'à des commentaires très élaborés. Passionné de lecture, il citait souvent de notre grand al-Moutanabbi, ces célèbres vers qui étaient pour lui une règle de conduite : "La plus précieuse place en ce monde est la selle d'un coursier rapide, Le meilleur compagnon de tous les biens sur terre est un livre". "Ce que je regretterai le plus en quittant ce bas monde, affirma-t-il, c'est la compagnie des vieux livres aux pages "jaunes". Cependant, parmi les ouvrages de prédilection dont il parcourait les pages à tout moment, il convient de citer, en particulier, « Qût al-qulûb fî mu’âmalat al-Mahbûb » (Nourriture des cœurs et amour d’Allah (le Vénéré)) d’Abû Tâlib al-Mekki (Xè s.), l’un des premiers maîtres du Soufisme,  qui traite de disciplines purement mystiques (du’â, wird du jour et de la nuit, vigile nocturne… (oraisons, invocations, incantations)) et notamment « Zâd al-Ma’âd fî hadyi khayri al-‘ibâd » (Provision pour le Jour du jugement dernier en guidance du Meilleur des Hommes » de l’éminent Imam Ibn Qayyim al-Jawziyya (XIIIè s.), qui traite des enseignements du Prophète pour une meilleure réussite dans la vie sur terre et dans l’au-delà.
  
Toujours à l'affût d'éditions introuvables ou de manuscrits précieux, il se rendait au Souk des Libraires là où se déroulaient les ventes aux enchères de vieux bouquins. Le dallal (crieur public) annonçant leur titre et leur mise à prix, l'argent ne comptait pas pour lui tant qu'un livre l'intéressait et personne, le plus souvent, parmi les acheteurs, ne pouvait surenchérir. Son professeur, Cheikh Arbi Mejri, le faisait parfois renoncer à l'achat de certains ouvrages qu'il jugeait futiles. « Les ulémas, répliquait-t-il, n'ont que faire des livres ornés de fioritures ; seule les intéressent la teneur d'un texte et sa portée scientifique ! ». Ce jugement était vivement contesté par Si Mohamed Torki, (ancien directeur du Protocole et ami inséparable de Si Belhassen, père de Md Ali) qui était lui-même connu pour son engouement et sa passion pour les beaux livres (11).
    
Cheikh Ali prenait particulièrement soin de sa collection d'anciens manuscrits comportant de riches enluminures et dorures. Il possédait notamment plusieurs exemplaires du Coran et des recueils des paroles du Prophète (hadiths) qui rivalisent d'élégance et de beauté. Maîtrisant parfaitement l'art de la reliure, il réparait, avec un soin quasi religieux, les plus endommagés, encollant leurs cahiers, les embellissant en les couvrant d'une fine peau de maroquin ou plein chagrin. Dans l'un de ces précieux livres, "Sahîh al-Boukhârî", composé d'une trentaine de volumes et calligraphié dans une très belle écriture maghrébine, le frontispice du premier volume comporte une ijâza (licence) rédigée par le savantissime Cheikh Md Tahar Ben Achour, qu'il avait lui-même reçue de son grand-père maternel Mohamed Laziz Bou Attour. Cette ijâza rattache le nom du Cheikh Mohamed Ali à la longue chaîne de noms de garants qui se sont transmis oralement de génération en génération et au fil des siècles les propos du Prophète, remontant ainsi par ce "sanad" à l'Imam Mohamed al-Boukhârî. Sept mille cinq-cent-soixante-trois hadiths ont été rapportés par cet éminent auteur dans son "Sahîh", considéré par les sunnites comme étant le livre le plus fiable et le plus authentique après le Saint Coran.



Page de frontipice du 1er volume de Sahîh al-Boukhârî (28x20 cm) (copie du manuscrit achevée le 10 juillet 1869)


 Page de frontispice du onzième volume




Ijâza que Cheikh Md Tahar Ben Achour avait reçue de vénérables anciens ulémas et qu'il octroie au moudarris Md Ali Lasram, lui assurant la transmission des hadith mentionnés dans le Sahîh al-Boukhârî (3 juillet 1970).



Dernières lignes d'un opuscule de 6 pages (dactylographié), signé par Cheikh Md Tahar Ben Achour, contenant un ensemble d'explications et de remarques à propos des objectifs et du contenu de cette ijâza.





Ijàza rédigée par Cheikh Mohamed Habib Belkhodja, octroyée à son condisciple et ami dévoué, Md Ali Lasram, assurant la transmission des " Thoulàthiyat Hadiths (trio ou triples propos d'al-Boukhari); 20 Ramadan, 1393, (17 octobre 1393). 



Nous ne pouvons passer sous silence, dans ce bref article consacré à la mémoire du Cheikh Ali, les réunions hebdomadaires qu’il organisait, une trentaine d’années durant, avec ses amis dévoués : Cheikh Md Habib Belkhodja, Kamel Eddine Djaït, Tijani Haddam, Moncef Djaït, Mohamed Ben Achour, Mohamed Fareh, Radhi Kchok, Mustapha Ghazali, Abdelaziz Guizani, Mustapha Mkaddem, Md Tahar Ben Othman et le regretté Mahmoud Messaoudi (qui vient de nous quitter il y a quelques jours).

Dans ces rencontres, qui se tenaient chaque vendredi, on étudiait l’exégèse coranique du grand Imam Cheikh Md  Tahar Ben Achour, « at-Tahrîr wa at-Tanwîr » (La Dissertation et l’Illumination). A travers les propos savants échangés au cours des conversations, des remarques pertinentes et des taâliq fort intéressants que l’on relevait, se profilaient, non sans éclat, les treize siècles de rayonnement et de présence civilisationnelle de l’Université zeïtounienne.

Cette figure illustre vient de nous quitter pour un monde meilleur. Ses disciples, ses amis, sa famille furent profondément ébranlés par sa mort. Des oraisons funèbres furent prononcées d'une voix émue par son ami Cheikh Radhi Kchok, ainsi que par quelques-uns de ses collègues et de ses anciens élèves. Une affluence immense de gens venus de tous lieux, renonçant aux visites familiales qu'ils devaient accomplir en ce jour de l'aïd al-fitr, suivirent avec émotion l'interminable cortège funèbre, répétant à l’unanimité qu’un tel personnage, aussi dévoué et aussi intègre, est irremplaçable. (12)

Que Dieu lui fasse miséricorde et lui accorde le paradis comme destination et comme refuge ; Amen. (13)

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(1) Dès les années 60, Cheikh Md Ali a donné régulièrement des cours de fiqh et de tafsîr, tenus principalement à la Mosquée du Kram. Plus d'une centaine de séances ont été enregistrées entre 1978 et 1986. Le Docteur Sami Ben Moussa a pris soin de les collecter. Elles ont été éditées et distribuées bénévolement avec l'appui du Ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine, de la Délégation régionale de la ville de Tunis et des Maisons de Culture du Kram Est et Ouest.

(2) Cheikh Taïeb Siala (1889-1968), mudarris à la Zitouna et membre du Comité professoral, premier Mufti malékite de Tunis, membre du Majlis ach-chara’ (conseil appliquant la loi canonique islamique (supprimé en 1956 et remplacé par le Tribunal mixte)).

(3) Lella Kalthoum n’a pas vécu longtemps. A l’âge de cinquante-sept ans, elle succomba à une grave maladie. Les bons usages et les règles de bienséance, en ces temps-là, interdisaient à une dame de bonne condition de quitter sa demeure même pour une raison aussi impérieuse que de se rendre en urgence à un hôpital pour se faire soigner. Grâce à la compétence et à la perspicacité du Docteur Mahmoud El Materi, à cette époque Ministre de la santé, tout un arsenal de machineries chirurgicales, de matériels et d’instruments médicaux a été transporté de l’Hôpital Sadiki et installé dans la chambre à coucher de la patiente. Tout en respectant avec rigueur les conditions nécessaires d'asepsie, cette chambre fut complètement désinfectée. Cependant, l’opération chirurgicale étant très délicate, une cohorte de médecins renommés ne put la sauver. Cette dame, qui était tant aimée par tous ceux et celles qui l’avaient connue, s’est éteinte en douceur, le 16 mai 1937, entourée de son mari, de ses deux filles et de ses cinq fils. Ce fut une grande perte non seulement pour ses proches mais aussi pour beaucoup de familles nécessiteuses qui avaient trouvé en elle une âme charitable ; elle n’avait jamais cessé de les traiter avec indulgence et de les combler de ses bienfaits.
Le magistrat et grand poète, Hédi Madani, qui vouait une fidèle et déférente amitié au Cheikh Mohamed Mestiri, avait composé l’un de ses plus beaux poèmes élégiaques, tellement apprécié à l’époque par certains lettrés, et qui fut gravé sur l’épitaphe de la tombe de celle qui fut la dernière de son illustre famille.
Cette tombe a été réalisée par les deux frères Mokhtar et Habib Fallah, dont la marbrerie était installée, à cette époque, à Bab Souika. Ces deux maîtres-artisans, réputés pour leur savoir-faire, firent preuve d’un travail patient et très minutieux, en composant des incrustations de minuscules pièces de marbre de Carrère, blanches et roses, taillées à la main, formant un foisonnement de rinceaux feuillés et de motifs floraux, d’inspiration italianisante, d’une beauté et d’une grâce infinie. (Les Fallah, d'origine andalouse, éminents artisans spécialisés dans l'ornementation sur le marbre et le plâtre, ont été les précurseurs de la Naqcha Hadida. Certains de ses membres ont participé à la restauration d'ornements du Palais du Bardo et de la Kasbah et à l'édification du minaret de style andalous de Testour).

(4) Les Haddad appartenaient à une famille hispano-moresque, originaire de Séville, qui s’établit au XVIIe siècle à Tébourba puis s’installa au début du XVIIIè dans l'un des plus anciens palais de la Médina de Tunis (édifié au XVIe s. et situé rue Sidi Bou Khrissane, 9 impasse de l'Artillerie, dans le vieux quartier des Béni Khourassène). Acquis par la Ville de Tunis et classé monument historique (1966), il a été restauré de fond en comble et transformé en 1999 en Musée des Traditions et Coutumes de la capitale. CF. Jaques Revault, "Palais et demeures de Tunis (XVIè et XVIIè siècles)"", Editions CNRS Paris 1971, vol. 1, pages 169-196) ; Nébil Radhouane, Dâr El-Haddâd : un monument rendu à la postérité,  "Le Temps", 20 mai 1999, p.9), Cf. Leïla Ammar, "Histoire de l'Architecture en Tunisie, de l'Antiquité à nos jours", édité à compte d'auteur,, Tunis 2005: Le Dar Al Haddad à Tunis, impasse de l'Artillerie, p. 191.
(5) Carte d’identité, profession : écolier, 19 mai 1931.






(6) "La carte de scolarité de la Grande Mosquée", comportant l'en-tête :"Protectorat français, Régence de Tunis", est livrée par la Direction générale de l'Intérieur (sûreté publique) à tout élève qui s'inscrit à la Zeïtouna. Elle est signée par le chef des services de police. (Afin d'établir "l'ordre et la sécurité", des opérations d'inspection et de contrôle ont été imposées par les autorités administratives, notamment aux élèves zeïtouniens, principaux meneurs, ne l'oublions pas, des événements du 9 avril 1938).


Carte de scolarité du tâlib Md Ali Lasram (1er janvier 1940)

(7) La Nâsirya était un complexe sportif, sis au quartier de la Hafsia à Tunis, réservé à l'exercice de la gymnastique, de la lutte et de la boxe.


        

(8) Carte d’adhérent au Parti du Nouveau Destour, au nom du Cheikh Ali Lasram, 1954-1955.              

(9) La munâdhara (inspection, examen) du Tadrîs était en elle-même un événement notoire. Elle se déroulait en public dans la salle de prière, devant un imposant jury (an-Nadhâra al-'ilmia) composé de tous les Grands Cheikh, de l'ensemble du corps enseignant et parfois même de ministres et de personnalités notables. Le candidat devait prononcer un discours magistral sur une question pointue. Après quoi, les nudhâr (examinateurs) se retiraient pour délibérer. Celui qui obtient le diplôme du Tadrîs (ijâzat at-Tadrîs) peut prétendre à l'enseignement des sciences de la charî'a et de la théologie.


(10) Observant les vieilles coutumes, la cérémonie du mariage a été célébrée un jeudi 30 septembre 1948, au Dar Lasram, rue Bir Lahjar. L’orchestre (‘aouada) était composé à l'époque de musiciens aveugles jouant des airs classiques. Parmi les innombrables invitées, seules manquaient les proches de Sidi Moncef Bey, retenues par le deuil du Roi Martyr (décédé le  Ier du mois de septembre). 
(Quelques mois après leur mariage, Cheikh Md Ali et sa jeune épouse Férida partirent en voyage de noces pour la France et la Suisse).

(11) Cf. Sadok Zmerli, "Figures tunisiennes" : Mohamed Torki, l'homme , l'interprète, le chercheur, MTD, T.2, pp. 75-77.

(12) Arbî ben Chedly Kabadi (1880-1961), surnommé "Cheikh al-udaba" (Patron des hommes de lettres) était doté d'une mémoire prodigieuse et hors du commun. Il assimila un grand nombre de traités de littérature classique, notamment le "Dîwân hamâsa" qu'il avait appris en entier. Poète et orateur, il dirigea le comité littéraire de l'association musicale de la Rachidiya au moment de sa création.


(13) Deux soirées consécutives ont été organisées le 5 et 6 août 2013 (27 et 28 ramadan 1434) à la Maison de Culture Mustapha Agha au Kram (par les soins de l'Association de solidarité et de bienfaisance et sous l'égide du Ministère de la Culture) au cours desquelles s'est déroulé un concours de psalmodie du Coran pour les jeunes. Il y avait un large public. Cheikh Chérif Ahmad Glenza, qui fut parmi les premières promotions d'élèves du Cheikh Ali, a parlé longuement de son professeur en évoquant son sens de l'enseignement et de la pédagogie, sa capacité à rendre claires et intelligibles les questions les plus controversées, à contredire et à réfuter les opinions et les théories subversives et à dénoncer les manipulations de la foi dont l'Islam est aujourd'hui victime. Il évoqua surtout la souplesse de son esprit, sa faculté d'adaptation intellectuelle et son habileté à actualiser certains préceptes, en conformité avec les exigences de la modernité, tout en respectant l'intégrité du texte coranique et des paroles du Prophète et tout en  luttant contre ceux qui en dévient. La parole a ensuite été donnée à plusieurs anciens disciples et élèves du Cheikh Ali qui ont exprimé tour à tour et avec beaucoup d'émotion leur attachement et leur admiration pour leur regretté Maître qui se distinguait autant par "l'étendue de son savoir" que par "la pureté de ses mœurs".  Ils ont aussi évoqué ses séances de prêches hebdomadaires qui  se sont déroulées sans interruption durant des décennies  et qui n'ont cessé d'attirer un public de plus en plus immense : certaines personnes bravaient  de très longues distances pour y assister. Chaque samedi soir, à l'heure de la prière d'al-maghrib, les rues attenantes à la mosquée étaient assaillies par une marée de gens et par une file infinie de voitures en stationnement, ce qui provoqua, à un moment donné, la méfiance de certains responsables de la sécurité qui ont réussi, après bien des déboires, à mettre fin aux "prêches du samedi". Hormis son entourage familial, ils interdirent à qui que ce soit tout contact avec le Cheikh Ali. Ils lui ont même confisqué son passeport au moment où il  s'apprêtait  à partir pour une visite aux lieux saints. Son passeport ne lui a jamais été rendu.