mardi 26 avril 2016

Ahmed Djellouli, mémoire vivante de la Tunisie




 

Mémoire vivante de la Tunisie
La Tunisie vient de perdre l’une de ses figures les plus emblématiques : Ahmed Djellouli, « Le Temps », 22 avril 2011.










Qui n'a pas connu, de près ou de loin, parmi les gens de tout âge et de toute condition, Sid’Ahmed Djellouli ? Sa présence était sollicitée dans toutes les cérémonies officielles, les fêtes religieuses, les funérailles et les contrats de mariage. En invité de marque, il se distinguait par sa silhouette familière, sa belle allure et son aspect élégant. Son burnous immaculé garni de passementerie, sa haute coiffe d'un rouge écarlate, pourvue d'un galon épais et noir et sa fine moustache rehaussaient sa prestance et lui donnaient plus d'éclat. Mais en plus de son attrait physique, de sa courtoisie, il était surtout remarquable par son érudition, sa culture étendue et l'alacrité de ses propos. Tous ceux qui l'ont fréquenté découvraient en sa personne un véritable gentilhomme, doté de tant de noblesse et de générosité. 


Ses auditeurs étaient ravis de l'écouter, tant il possédait l'art du discours. Il intéressait l'assistance, citant à profusion, sans faillir, des passages entiers puisés dans les traités d'histoire et que sa mémoire prodigieuse avait intégralement retenus. Il ne confondait jamais les dates chronologiques, ne se trompait jamais sur les généalogies, relevant des éléments précieux sur des événements importants auxquels il avait assisté, évoquant des faits et gestes d'hommes célèbres qu'il avait côtoyés. Quiconque voulait s'informer sur le passé de la médina, sur ses bonnes traditions, sur les us et coutumes de ses habitants, devait infailliblement s'adresser à lui. C'est que ce personnage, que tout le monde estimait, était féru d'histoire. Il était fin connaisseur de cette longue période, très tumultueuse, au cours de laquelle la dynastie husseïnite avait régné, deux siècles et cinquante-deux années durant, sur la
Tunisie. Période pourtant lointaine, marquée par le protectorat français, et qui s'acheva avec l'Indépendance de notre pays, il y a de cela plus d'un demi-siècle. Si les jeunes générations n'ont point connu ces temps révolus, les événements qui s'y déroulèrent, les personnages importants qui y vécurent devenaient si familiers, si attachants et si proches pour tous ceux qui écoutaient Ahmed Djellouli relater, par le menu, les hauts faits, les dénouements et les péripéties de l'Histoire, brossant d'authentiques portraits de princes, de dignitaires ou de clercs, évoquant à leur sujet des anecdotes amusantes et pittoresques, donnant ainsi à ses propos plus de teneur et de véracité. 
     
La connaissance des événements du passé, des faits relatifs à l'histoire d'un peuple, d'une nation, étaient jugés par lui dignes de mémoire. Il s'évertuait à dire que l'on ne peut construire le futur que sur les solides bases du passé, et qu'oublier son passé, c'est s'oublier soi-même. Un jour, il cita à juste titre cette phrase d'Anatole
France : « Le présent est aride et trouble, l'avenir est caché. Toute la richesse, toute la splendeur, toute la grâce du monde est dans le passé ».



Mémoire vivante de la
Tunisie du temps des Beys, il a hérité de son entourage familial une large culture. Il appartenait à l'une des familles patriciennes des plus prestigieuses où étaient durant longtemps recrutés toute une lignée de notables makhzen, caïds et ministres. Mais il avait surtout acquis son épanouissement spirituel grâce à ses connaissances livresques. Il fut un grand collectionneur d'ouvrages de grande valeur, de manuscrits anciens, de revues ayant trait à l'histoire tunisienne, mais aussi d'albums de photographies souvent inédites qu'il déployait avec soin, s'ingéniant à identifier, d'une manière précise, les portraits d'hommes disparus qui y sont représentés.
Toutes ces collections étaient rangées dans les alcôves et les chambrettes de son fastueux palais, le Dar Djellouli (sis rue du riche à la médina de
Tunis) que son bisaïeul, Mahmoud, caïd de Sfax et de Sousse et conseiller de Hamouda Pacha, avait acquis et aménagé à la fin du XVIIIè siècle. Tous ceux parmi les habitués ou parmi les chercheurs en quête de documentation venaient découvrir ce riche patrimoine. Ils étaient accueillis avec autant d'empressement et de bienséance, car le maître des lieux savait recevoir en grand seigneur.


              

Ahmed Djellouli                                                                                                                                      Md Lahbib Djellouli


Seul enfant mâle, Ahmed naquit en 1930 dans la demeure ancestrale qu'il avait d'ailleurs occupée sa vie durant. Il vécut son enfance, avec ses cinq sœurs, dans l'opulence et l'amour des siens. Son père, Md Lahbib Djellouli, était ministre de la plume puis ministre de la Justice en 1943. Son grand-père, Ali, appartenait à la génération de tous ceux qui avaient assisté à l'installation du protectorat. Il était lui-même le fils d'Hassan ibn Mahmoud ibn Bakkar ibn Ali ibn Farhat. Ce dernier, contemporain des Mouradites, mourut à la fin du règne d'Ibrahim Chérif. Quant à la mère d' Ahmed, Sarra, elle appartenait à l'illustre famille de magistrats, les Ben Achour ; elle était la fille de Mohamed (ancien président de l'administration des Habous) et la sœur du grand savant Cheikh Md Tahar Ben Achour.                            
Dès l'âge de vingt-cinq ans, Ahmed fut nommé Khélifa (fonctionnaire de l'administration régionale) de Béja (1954-56) puis de Mjez-el-Bab. A l'issue de la proclamation de la République, il reprit son activité en tant que directeur de Monoprix (1960-72) puis directeur de la Stil (1977-90).




Durant sa retraite, il ne renonça pas à sa vie mondaine. Très fidèle à ses proches et à ses amis, il demeura un homme du monde accompli. Et lorsque la mort inexorable vint le ravir, après une brève maladie, il s'éteignît dans la paix du Seigneur, confiant d'avoir assisté à l'avènement d'une ère nouvelle dans l'histoire moderne de sa chère patrie, à laquelle il s'était tant dévoué, une ère aspirant à plus de liberté, de justice et de prospérité.


     




*Je dois à mon ami Mohamed Djellouli, neveu du défunt Ahmed Djellouli, des renseignements au sujet de l'histoire de sa famille. Je le remercie vivement.


                                                                                                            Khaled Lasram

(Voir: Alya Hamza: Une demeure d'histoire et de prestige, in "Maisons et Jasmins", Hiver 2010-2011, n° 5, pp. 100-106.)

vendredi 22 avril 2016

Kamel Eddine Djait, l'homme qui combattait l'hétérodoxie




Kamel Eddine Djaït, l'homme qui combattait l'hétérodoxie 
In memory
Khaled Lasram   Publié dans Le Temps le 02 - 01 – 2013






Cheikh Kamel Eddine Djaït, ancien Mufti de la République, vient de s'éteindre à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Tous ceux qui ont eu le privilège de le connaître, le considéraient avec ferveur et respect. Modèle accompli de vertu et de dévotion, il était autant apprécié pour ses qualités d'altruisme et de sagacité que pour sa probité et ses dons exceptionnels.

Il appartenait à la dernière génération des « moudarras » qui avaient reçu leur formation à la Grande Mosquée de la Zitouna et qui, auréolés de leur prestige d'hommes de science et de religion, jouissaient d'une vénération particulière auprès d'une population foncièrement attachée à sa foi. Ces honorables maîtres se distinguaient par leur habit cérémonial, coiffés d'un turban blanc, enveloppés dans leur ample Jebba et leur burnous de laine immaculée, insignes de leur autorité religieuse suprême. A la suite de la fermeture de l'Université Zeïtounienne, au milieu du siècle dernier, ils ont presque tous disparu, et il n'en subsiste aujourd'hui que quelques-uns, d'un âge avancé, et que l'on compte sur les doigts de la main.
Cheikh Kamel Eddine était l'une des figures les plus marquantes de cette société de lettrés, guides spirituels et gardiens de nos valeurs morales. Reconnu unanimement parmi les maîtres les plus doués en matière de théologie et de jurisprudence, sa vie durant il se voua à l'érudition. Se ressourçant aux principaux ouvrages de base (mutûn) et à leurs commentaires (hawâchî), apprenant par cœur des abrégés entiers en vers, il s'initia à diverses disciplines : tafsîr (exégèse coranique), hadîth (propos du Prophète), mustalah al-hadîth (terminologie), sîra (biographie du Prophète), tawhîd (théologie), fiqh (jurisprudence), usûl (méthodologie de droit), farâ'idh (science relative à l'héritage), mantiq (logique), ainsi que la littérature et la linguistique. C'est sans doute cette instruction encyclopédique, qu'il avait solidement acquise au sein de la Zitouna, qui a largement contribué à l'enrichissement de sa culture et à l'étendue de son savoir. Mais il avait surtout trouvé un guide averti, bienveillant et ferme en la personne de son père, Cheikh Mohamed al-Aziz Djaït (1886-1970), qui fut l'un des plus doctes représentants de la science juridique de son temps. On ne peut évoquer ici le nom de cet éminent savant sans signaler, à juste titre, sa réputation d'intégrité et sa rectitude morale qui furent, en toutes circonstances, exemplaires. Cumulant plusieurs fonctions : enseignant à l'Université Zeïtounienne (1911-1945) et au Collège Sadiki (1914-1940), recteur de la Zitouna (1940-1943), Cheikh al-Islam Malikite (1945-1956), Ministre de la Justice (1947-1950), Mufti de Tunisie (1957-1960), Cheikh Mohamed al-Aziz se distingua par ses vaillantes et audacieuses prises de position chaque fois que lui furent assignées ces importantes charges. Rappelons très brièvement à ce propos qu'il s'opposa formellement à la loi de naturalisation promulguée par le gouvernement du Protectorat (1933) (1). Il fut notamment le principal auteur de la charte de 1946 (Lâ'ihat Majallat al-ahkâm ach-char'iya) qui préfigura le Code du Statut Personnel. Appelé, en sa qualité de membre des tribunes supérieures, à la révision du texte régissant ce Code (promulgué le 15 août 1956), il préconisa la modification de sept articles qu'il jugea incompatibles avec les prescriptions du Coran et de la sunna. (2) Il s'opposa aussi formellement, en tant que Cheikh al-Islam, à certain leader politique à tendance laïcisante (3), et fut destitué, en 1960, de sa fonction de Mufti à la suite d'un désaccord sur la question du jeûne durant le mois de Ramadan. (4) Notons enfin qu'il soutint en particulier, à travers ses prêches et ses discours, la cause nationaliste algérienne contre le colonialisme et qu'il reçut en 1951 le titre de président d'honneur de l'Association des Uléma islamiques algériens. (5)  (Cf. Kameleddine Djaït, Cheikh Djaït, sa vie, son oeuvre, in "Jawhar al-Islam", Tunis, 1977, n° 9-10, p. 38 et suiv.).
Lui-même fils de Youssef Djaït (1830-1915), Premier Vizir (1908-1915) sous le règne de Naceur Bey (6), Cheikh Mohamad al-Aziz s'était donc appliqué à perpétrer le culte de l'honneur et de la probité intellectuelle qu'il avait hérités de son digne père, en les transmettant à ce fils, toujours affable et dévoué, et avec qui il n'avait cessé au fil des ans de partager une élective affinité.
En plus de ces vertus de droiture et d'intégrité qui lui ont été dévolues, le jeune Kamel Eddine reçut, de la part de sa mère, une éducation très émancipée. (7) Femme du monde, instruite et évoluée par rapport à son époque, elle fut depuis sa tendre enfance élevée suivant les principes alors en honneur dans un milieu social ouvert aux influences extérieures et adoptant une manière de vivre à l'européenne. C'est sur ce modèle d'éducation, édifiante et éclairée, que s'accomplit donc la personnalité du jeune Kamel Eddine. Il sut toujours garder le juste-milieu, conservant pour ainsi dire une égalité d'âme que rien ne pouvait troubler. S'adaptant parfaitement à l'esprit de son temps, il ne manqua pourtant jamais à ses obligations rituelles, préservant ses principes et ses fondements, garants de son Açâla et de son inaltérable authenticité. Toute sa personne exprimait ainsi une vérité profonde, loin de toute attitude conventionnelle ou superficielle. Tout son être dégageait une espèce de plénitude et d'équanimité dont seuls bénéficient les élus, animés par une foi ardente et une infaillible loyauté.
Né à la Marsa le 12 février 1922 (14 joumada II, 1340 H), il fut le cadet de son frère aîné Youssef et de sa sœur Sabiha et un peu plus âgé que sa sœur Frida et son frère Mohamed. Ayant appris une partie du Coran au kouttab de la demeure familiale, grâce aux soins d'un maître appliqué, cheikh Abderrahmane Zammal, il entra par la suite à l'école primaire de sa localité. Après un bref passage au Collège Sadiki, il franchit l'imposant péristyle de la Grande Mosquée de la Zitouna, entamant ainsi sa carrière de tâlib. Il y obtint la Ahlia (1er cycle secondaire) (1940), le Tahsîl (baccalauréat) (1944), la Âlimia (licence, section charaïque) (1947) et enfin le Tadrîs  



Dipôme de la Âlimia obtenu en 1947 et signé par le Recteur de la Grande Mosquée Cheikh Md Tahar Ben Achour


(2è catégorie) (1950). Il eut tout au long de ce cursus une élite de maîtres notoires : notamment son père (qui lui enseigna la méthodologie de droit) et son beau-frère, l'Illustre Cheikh Fadhel Ben Achour (qui lui enseigna la théologie). Citons entre autres : Mohamed Zaghouani et Hédi Allani (jurisprudence), Mohamed Annabi (procédure judiciaire), Sadok Mehrezi (hadîth), Mohamed Damergi (tafsîr) et Mohamed Mestiri (méthodologie de droit). Ce dernier, plein d'égards envers son ancien maître Cheikh Mohamed al-Aziz Djaït, s'employa avec zèle à accueillir le jeune Kamel Eddine et à suivre de près ses progrès universitaires. Il le familiarisa avec des notions précises et le prépara ainsi à affronter avec confiance les épreuves des examens. Admirant les hautes performances de ce maître, indulgent et d'une rare intelligence, le studieux élève lui voua une fidélité et une reconnaissance absolues. « Sans lui, déclare- t-il souvent, je n'aurai jamais pu progresser et décrocher aussi sûrement le Tadrîs ! »
Dès octobre 1950, muni de son diplôme, il entama sa carrière d'enseignant à la Zitouna et dans certaines de ses annexes. En cette même année, son père lui concéda sa place d'Imâm-prédicateur à la Mosquée Al-Hliq. Il se consacra avec abnégation à ce devoir sacerdotal durant une cinquantaine d'années sans interruption.
La réforme de 1958 ayant supprimé l'Université Zéïtounienne (8), les Moudarras furent répartis dans plusieurs collèges et lycées secondaires. Après ce coup d'arrêt, notre cheikh renonça en plein essor intellectuel au Tadrîs de première catégorie, alors qu'il s'y apprêtait sérieusement. Il dut se résigner à sa nouvelle situation en abandonnant le costume traditionnel et en rejoignant le Collège de la 
Goulette, où il a été muté comme professeur d'arabe et d'instruction civique et religieuse. Néanmoins, cette situation ne perdura pas, puisqu'en 1970, il fut promu au grade de Maître de Conférences (9) et recruté à la Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses créée depuis quelques années. (10) Il y rencontra de vieilles connaissances : Mokhtar Ben Mahmoud, Chedli Belcadhi, Chedli Nayfar, Mohamed Lakhoua, Abdel-Aziz Ben Jaâfar, Mustapha Meddeb, Mokhtar Sallami et son ancien camarade de promotion Habib Belkhodja qui était à ce moment le doyen de la faculté. Les quatorze années écoulées dans cette institution ont été surtout propices à l'étude des principaux ouvrages de fiqh et de usûl. Il revisita les doctrines de certains jurisconsultes de renom en essayant de les considérer dans une optique nouvelle, et apporta ainsi beaucoup de soin à la préparation de ses cours. Il collabora en même temps à quelques revues, notamment Al-Hidâya (publiée par le Conseil islamique supérieur à Tunis). Abordant, à travers ses articles ou dans ses séminaires fondamentalement des problèmes d'ordre moral, il s'attela à faire comprendre l'esprit véritable de l'Islam, purifié de toutes formes de divergences et de jusqu'au-boutisme (tatarruf) : un Islam régi en profondeur par une quête d'identité et d'affirmation de soi, se réclamant essentiellement de l'Ecole Sunnite, de rite Malikite (conformément à la théologie scolastique de Ach'ari et celle de Jounaïd (Xème s.)), telle qu'elle a été établie et pensée depuis une dizaine de siècles par les fouqahâ de l'Occident musulman, et dont la Zitouna fut l'un des foyers les plus rayonnants. (11)
Dans ses multiples fatwas (consultations juridiques), la plupart ayant été rédigées ultérieurement durant son exercice de Mufti de la République, il souleva des sujets complexes et variés, dont certains particulièrement épineux se posent encore avec acuité de nos jours, tels que l'avortement, la fécondation in vitro, la transplantation d'organes, les malformations fœtales ou le clonage. Grâce à sa parfaite connaissance des textes sacrés (nusûs) et une consultation systématique des différentes opinions relatives à diverses écoles juridiques (madhâhib), il fut en mesure, en sa qualité de moujtahid, de prononcer des jugements indépendants et de proposer des interprétations personnelles susceptibles d'éclaircir maintes questions jusqu'alors controversées.
Cheikh Kamel Eddine fut parmi les doctrinaires de la foi qui prenaient fortement position contre toute forme d'hétérodoxie. Il n'avait cessé d'œuvrer pour la sauvegarde et la suprématie incontestée de la religion. Mais il aspirait par là même à un redressement intellectuel et spirituel inspiré des valeurs immuables d'un Islam éclairé, adapté aux conditions de la modernité et animé par une volonté de réformisme. De ce fait, il s'apparentait au milieu progressiste zéïtounien et poursuivait l'œuvre de ses maîtres à penser qui l'ont précédé dans la voie de l'Islâh, à l'exemple de Mahmoud Qabadou, Mohamed Bayram, Mohamed Senoussi, Mohamed En-Nakhli, Salem 
Bou Hajeb, Al-Khadhir Hussein et, en particulier, le Grand Imam Cheikh Tahar Ben Achour et l'Illustre Cheikh Fadhel Ben Achour qui avaient exercé sur lui un indéniable ascendant et auxquels, par ailleurs, il était rattaché par de solides liens de parenté. (12)
On ne saurait passer sous silence, dans ce bref aperçu, les réunions de chaque vendredi que le Cheikh Kamel Eddine entretenait avec quelques-uns de ses condisciples, et qui se déroulaient dans une ambiance à la fois studieuse et conviviale. On y étudiait l'exégèse coranique du Grand Imam Cheikh Tahar Ben Achour (1879-1973), « Al-Tahrir wa al-Tanwir », monumental ouvrage d'une trentaine de volumes et dont le texte, remarquable par sa virtuosité rhétorique et sa haute teneur scientifique, était minutieusement analysé et commenté par ce groupe d'initiés. Ils avaient souvent recours à des traités subsidiaires chaque fois qu'ils butaient sur des questions insidieuses ou ardues, et s'arrêtaient sur certains passages dont ils ne soupçonnaient pas à première vue le sens profond et qui étaient élucidés par l'auteur par de brillantes et irrécusables argumentations.
Ces réunions ont duré une bonne trentaine d'années et ne se sont interrompues qu'avec la disparition de la plupart des personnes qui y assistaient. Que le lecteur me permette de citer les noms de ces inoubliables hommes qui représentaient le talent et la vertu : Kamel Eddine Djaït, Moncef Djaït, Mahmoud Messaoudi, Mohamed Fareh, Habib Belkhodja, Mohamed Ben Achour, Mustapha Ghazali, Radhi Kchok, Abdel-Aziz Guizani, Tahar Ben Othman, Mustapha Mqaddam et enfin Mohamed Ali Lasram, beau-frère du Cheikh Kamel Eddine, auquel le liait une ancienne et indéfectible amitié, ayant depuis toujours partagé ensemble les mêmes points de vue et aspiré au même idéal.
Dès sa mise à la retraite, en 1984, Cheikh Kamel Eddine a été sollicité à participer à la vie publique et à exposer ses avis et conseils sur des faits contentieux d'actualité. Doué d'une persévérance à toute épreuve, son sentiment du devoir lui commandait d'accepter ces lourdes responsabilités qu'il allait assumer avec énergie et efficacité. Il siégea dans plusieurs congrès scientifiques et académies internationales, au cours desquels il présenta d'amples études spécifiques. Il fut ainsi successivement Membre représentant à la Ligue arabe (sise à 
Tunis) (1984-1998), Membre du Conseil islamique supérieur à Tunis (1989-1998), Membre de l'Assemblée du Fiqh islamique rattaché à l'Organisation de la Conférence islamique à Djedda (1989-2008), Membre de la Chambre des Députés au Bardo (1994-1998) et en fin de parcours Mufti de la République (1998-2008). Il dut renoncer à cette dernière fonction à la suite d'un mal qui le minait depuis longtemps.






Les Membres du Conseil islamique supérieur; de d. à g. : Taïeb Slama, Sadok Bel Hadj, Abdellatif Louçaïef, Mokhtar Sallami, Md Lahbib Belkhodja, Mahmoud Chammam, Touhami Nagra, Salah Nabi, Kameleddine Djaït, Rachid Sabbagh.


Désireux de couronner sa vie, vouée toute entière à la piété et à l'amour du savoir, par un acte de charisme et de foi, le Cheikh a légué l'ensemble de ses précieuses collections d'anciens manuscrits, d'ouvrages rares, de brochures et de périodiques, hérités dans leur majeure partie de son père et de son grand-père, à la Bibliothèque Nationale.
Au demeurant, son état de santé s'est graduellement dégradé avec la disparition de son aimable et dévouée compagne Souad Agha. Durant les soixante-quatre années qu'elle a vécues aux côtés de son mari, elle n'avait cessé de l'entourer de ses soins et de ses délicates attentions. Face à ce brutal arrachement, le Cheikh Kamel Eddine témoigna d'une admirable résignation, réconforté par la profonde affection que lui portaient les siens. Il ne tarda pas cependant à rejoindre sa fidèle épouse pour un monde meilleur.
La foule immense qui l'avait accompagné jusqu'à sa dernière demeure, écoutait avec ferveur l'oraison prononcée par l'actuel Mufti de la République en déplorant la perte irrémédiable d'un âlim d'une aussi grande valeur.
Cheikh Kamel Eddine sera toujours présent dans le cœur de ses enfants, de ses amis, de ses nombreux disciples et de tous ceux qui l'ont aimé et qui l'ont vénéré. Nous avons perdu l'homme mais non l'âme. Prions pour lui.
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(1) Cf. sa fatwa du tajnîs, in Md Bouzghiba, "Fatwas (avis religieux) du Cheikh al-Islam en Tunisie Md al-Aziz Djaït, ses interprétations et prédications", Dar Ibn Hazm, Beyrouth, 2005, p. 164.

(2) Jugeant le Code du Statut Personnel "trop éloigné des préceptes charaïques", Cheikh Md al-Aziz Djaït adressa, le 20 août 1956, une lettre à Ahmed Mestiri, ministre de la Justice, dans laquelle il demanda la révision des articles 14, 18, 19, 21, 30, 35, 88 (concernant principalement l'interdiction de la polygamie et la juridictionnalisation du divorce). (Le 14 novembre, une fatwa a été publiée par treize membres des deux tribunaux supérieurs, dans laquelle ils affirmaient que le CSP comporte des tendances qui ne sont pas conformes aux prescriptions du chara'. La plupart ont été destitués ou placés en retraite anticipée. Certains Imams, ayant prononcé des sermons, signé des compétitions ou rédigé des articles critiquant le CSP ont même été arrêtés). Cf. Kameleddine Djaït, Cheikh Djaït, sa vie, son oeuvre, in "Jawhar al-Islam", 1977 ; Md Sadok Bessaïs : Abdellaziz Djaït.., Journal "al-'Amal" (Littérature et culture), pp. 3, 11; Md Bouzghiba," al-Cheikh al Jalîl Md Laziz Djait, sa vie, ses réformes, son oeuvre", Mediterranean Publisher, 2010.

 (3) Cheikh Md al-Aziz Djaït s'est vivement opposé à la conception bourguibienne de la laïcité, en prononçant un discours devant le Bey Lamine 1er le jour de l'aïd el-Kébir. Cf. "al-Majalla az-Zeïtounya", v. 9, t. 4, p. 219 ; cf.  Mahmoud Chammam : Cheikh al-Islâm Md Laziz Djaït (1886-1970) in "Chouyoukh az-Zaytouna fil qarn ar-râbi' 'acher hijri",Md Laziz Sahli, Tunis 2000, pp.93-97; cf. version du lecteur multimédia VLC (2.2.6), voix 002-sd.

 (4) Désaccord signifié ouvertement dans  une fatwa à travers une allocution radiophonique diffusée le 13 février 1960 et parue le lendemain au journal "as-Sabah". Cette fatwa vaudra au Cheikh A. Djaït sa remise en retraite anticipée par Bourguiba qui laisse le poste de Mufti vacant pendant deux ans.

(5) Cf. Mouloud A'wimer, Cheikh al-Islam Md al-Aziz Djaït et sa relation avec l'Algérie, "Râbitat Udabâ ach-Châm", 10 mars 2012.

(6) Les Djaït, famille de vieille souche, dont les ancêtres remontent aux tribus yéménites, arrivèrent en Ifrîkya au VIIème siècle lors de la conquête islamique. Ils se fixèrent à Kairouan (ville sainte qui pour longtemps rayonna sur toutes les contrées du Maghreb) avant de s'établir à Tunis (1706). Ils fournirent à la dynastie husséinide nombre de lettrés, magistrats et notables, dont quelques-uns se vouèrent au commerce et à l'agriculture.

(7) Sa mère, Wassila, était issue d'une famille originaire de Béni Khiar ayant quitté l'Andalousie au début du XVIIè siècle, durant l'expulsion définitive des Moresques d'Espagne et s'installèrent, comme beaucoup d'autres familles, au Cap-Bon, région agricole fertile. Wassila était la fille de Mohamed al-Aziz Baccouche (1870-1948), (Interprète au Premier Ministère), et la petite fille du Général Mohamed Baccouche (1833-1896), (études d'ingénierie en France, Premier secrétaire du grand vizir Mustapha Khaznadar (1860), Directeur du Ministère des affaires étrangères avec rang de ministre, Membre du Conseil d'Etat et Caïd-gouverneur de Sousse).

(8) Au lendemain de l'Indépendance, le « Projet de réforme de l'enseignement en Tunisie », élaboré en janvier 1958, a été mis en application par le directeur de l'Enseignement secondaire au Ministère, Mahmoud Messadi. Dès son arrivée à cette fonction, il fit licencier les moudarris et annuler l'enseignement secondaire zeïtounien. Un nombre considérable d'étudiants, contraints d'interrompre définitivement leurs études, durent par la suite occuper des postes subalternes n'exigeant aucune formation intellectuelle.
(9) En 1970, une loi proposée par le Ministre de l'Eduction nationale, Chedli Ayari, a été promulguée après soumission à l'Assemblée nationale, octroyant à un certain nombre d'enseignants permanents, anciens zeïtouniens, des titres universitaires. Cf. Amel ben Moussa, "Bourguiba et la question religieuse", Cérès Productions, Tunis, 2011, pp. 177-178.

(10) L'Université de Tunis fut créée officiellement par décret du 31 mars 1960, complété par décret du 1er mars 1961. Elle comprenait plusieurs institutions, dont la faculté Ezzitouna de Théologie et de Sciences Religieuses (boulevard du 9 avril, Tunis). Cf. JORT, 3-7 mars 1961, p. 354.
(11) Cf. Cheikh Kamel Eddine Djaït : L'identité de l'islam tunisien et les tentatives de défiguration, pacte des ulémas de Tunisie, in Le Maghreb Magazine, déc. 2012, n°15, pp 4-5 (article en langue arabe).(12) La revue Al Majallah Ez-Zeïtounia (1936-1955), fondée par le Cheikh Chedli Belcadhi et quelques-uns de ses collaborateurs, poursuivait l'œuvre des ulémas progressistes, en ayant pour principal objectif d'établir une réforme de la religion et des moyens de lutte contre le fanatisme et le sectarisme. Elle a eu une large audience non seulement en Tunisie mais dans d'autres contrées arabes. Cf. Mustapha Chelbi, Le patrimoine journalistique de Tunisie, éd. Bouslama, Tunis1986, pp. 237-245. 


A la mémoire de Si Hacib Khalsi




           A la mémoire de Si Mohammad Hacib Khalsi, Tunis, 23 avril 1996



            

1 -  Hacib Khalsi (1929), photo Soler


D’aucuns, parmi les vieux habitants du Kram, connaissaient ce personnage discret, plein de distinction et d’un remarquable attrait physique que fut Si Hacib Khalsi, une des figures les plus marquantes de notre localité. On le voyait souvent, durant les courts après-midi d’hivers, enroulé dans les volutes de son burnous, muni de sa canne à pommeau d’ivoire, parcourir d’un pas alerte, loin de l’agitation des places publiques et du tumulte des mêlées, les étroites ruelles qui bordent la mer.

Tous ceux, parmi ses rares amis ou ses proches, le considéraient avec déférence. Si Hacib était d’une extrême qualité par le degré de perfection, tel que peut l’être un homme d’une grande sensibilité. Doué de perspicacité, de subtilité et de délicatesse, il avait un goût pour les bonnes manières et l’on comprend qu’il ne pouvait tolérer, parmi les jeunes d’aujourd’hui, ceux qui font preuve d’incrédulité ou de désinvolture. Il manifestait un chagrin amer contre ce siècle qui a vu tant de bouleversements violents, discréditant les usages les plus élémentaires de la civilité et les règles essentielles de la morale.

Si Hacib était né, le 31 mars 1909, dans la grande demeure familiale située place de la Casbah. Ancien palais qui aurait appartenu au Caïd Mrad, père du Dey Mohamed al-Asfar (mort en 1706), servant à un moment donné de siège à l’administration chargée de la gestion du monopole des cuirs (Diwân Dâr al-Jild), cette demeure fut acquise par les Khalsi en 1853. Regroupant une large famille de frères et de cousins, elle comptait, vers 1930, quelques 150 habitants. (1) L’ancêtre, Qâcim ben Ali Khalsi, proche de Hamouda Pacha, était vers 1793 chef des canonniers. Il fut aussi le premier maître chawachi d’une lignée de notables marchands qui entretenaient un commerce avec la Syrie, le Liban et la Turquie, dont quelques-uns reconnus parmi les ‘Achra al-Kibâr. (2) La fortune qu’ils avaient amassée ayant suscité, dans la seconde moitié du XIXème siècle et durant les périodes de troubles, la convoitise de certains Beys, ils se mirent, pour sauvegarder leurs biens, sous la protection du Consul de Russie.



 2 -  Md Lamine Khalsi (à droite) accompagné de quelques
Commerçants du souk des chawâchiya, place de la Casbah,
S’apprêtant à une visite au Bey, le jour de l’aïd al-fitr, 1932.


La forte crise provoquée par la concurrence européenne dans le secteur de l’industrie de la chéchia amena quelques membres de la famille à protéger leur patrimoine en le constituant en habous (1878).

Lamine Khalsi, grand-père de Si Hacib, était amine de la corporation des chawâchiya de 1902 à 1934. Il fonda, en 1890, en association avec ses deux frères Béchir et Ahmed, un magasin de vente d’objets de toute sorte provenant d’Orient. Acquérant auprès des beldi une grande renommée, le hanout Khalsi était synonyme de goût, de raffinement et d’élégance. On y trouvait de hauts tarbouch stambouli, des kachta matrouz, des damas de soie, des essences et confiseries orientales et de précieuses reliques ouvragées de Smyrne ou de Brousse.



3 – Cour du Bardo : membres du conseil municipal de Tunis rendant visite au Bey à l’occasion de l’aïd al-idhâ. De droite à gauche : Chadli Khalsi, M. Ksar, Ahmed ben Arous, Président Général Leniolo, vice-Président Lebadi, Md Fourati, Taïeb Radhouane, 20 janvier 1940, (photo el-Galaï).


           Chedly ben Lamine, père de Si Hacib, monta en 1903 son propre commerce en face de celui de son père et ses oncles, au 186 rue de la Casbah. Sacrifiant au goût du jour, il se spécialisa surtout dans les articles importés de France ou d’Europe : bonneterie, orfèvrerie, parapluies ou cannes à pommeau d’argents… et des montres de gousset suisses qu’il était le premier à introduire dans le pays. Lors des fréquents périples qu’il effectuait en bateau à travers l’Orient et l’Occident, il eut, en 1904, une singulière commande de la part d’un riche bourgeois de Tunis le chargeant de l’achat, à Constantinople, d’une odalisque. Sur le revers du portrait photographique d’une belle jeune femme « de 17 à 18 ans », que les Khalsi conservent encore, est mentionné le prix de vente s’élevant à la somme de 220 livres or turques !

  

Chedly et Hacib Khalsi, 1923, photo Soler



                                                   

                                                    Chedly Khalsi, 1930, photo Taponier, Paris, rue de la paix


        Durant la belle saison, la famille s’installait dans sa maison de plaisance, à Sidi Bou Saïd, édifiée autour du sabât Khalsi (3) L’un de ses membres faisait d’ailleurs partie de la commission de voirie, avant que le village ne soit doté, par décret beylical du 5 février 1893, d’un conseil municipal. N'oublions pas de citer, à ce propos, un fin poète et homme de lettres, Saïd Khalsi, qui collabora lui-même, par des traductions de textes, à l’important ouvrage de six volumes consacré à l'histoire de la Musique Arabe et qui fut réalisé par le baron d’Erlanger. (4)




 6 - Saïda, fille de Amed Zarrouq et de Baya Asfouri et mère de Si Hacib ; photo prise, vers 1920, par Md Lasram (oncle de Chedly halsi) au Dar Ahmed ben Hamda Lasram, rue du Pacha.





7 - Fatma, sœur de Si Hacib, épouse Ahmed Lakhoua, décédée en 1927 à l'âge de 27 ans ; photo prise , vers 1920, par Md Lasram au Dar Ahmed ben Hamda Lasram, rue du Pacha. 


           D’autres familles auxquelles s’allièrent les Khalsi venaient passer l’été en leur voisinage à Sidi Bou Saïd. La mère de Si Hacib, Saïda (morte en 1964), était la fille d’un personnage hautement considéré au village, Ahmed Zarrouq, réputé pour sa grande fortune. Il était lui-même le fils du fameux Mohamed Larbi Zarrouq, président du conseil municipal de Tunis et directeur du collège Sadiki (1875-1881), qui daigna manifester son mécontentement lors de la signature du traité de Kasr Saïd, se réfugiant au consulat d’Angleterre d’où il partit en exil à Istamboul. (5)


  























                                                                                                                                       9- Mohammad Larbi Zarrouq        
 8- Ahmad ben Md Larbi Zarrouq
             
       
       Baya, épouse de Ahmad Zarrouq et grand-mère de Si Hacib, était par ailleurs la fille de Mohammad al-Asfouri qui avait assuré, de 1885 à 1902, la fonction de Cheïkh al-Médina. Il fut le dernier représentant d’une famille de vieille souche, originaire de Séville, dont le célèbre ancêtre, Ibn Usfour, trouva perfidement la mort à la suite d’un malentendu avec le sultan hafside Abou Abd Allah al-Mustansir survenu en 1270.





 (11) Mohamed al-Asfouri, "Président de la Municipalité" portrait paru dans le journal "Le Pilori Tunisien" (deuxième année, n°34)





   (12) Mohamed al-Asfouri (en uniforme), Cheikh al-Madina, entouré de ses collaborateurs et de ses agents, vers 1890.


          Si Hacib voua un particulier attachement à sa grand-mère paternelle Habiba, fille de Ahmad ben Hamda Lasram. Celui-ci hérita d’une importante fortune que lui avait léguée son grand-père Mohammad Lasram qui avait occupé plus de trente années durant, la charge de premier secrétaite (bâch kâtib) (mort en 1861). Habiba était en outre la sœur du mélomane Mohammad Lasram (1875-1961) qui, en photographe amateur, avait laissé tout au début du siècle quelques portraits de famille soigneusement gardés chez les Khalsi. Fils unique parmi ses quatre sœurs, le jeune Hacib fut comblé par les faveurs de sa grand-mère Habiba. En femme respectée par les aînés, elle sut bien des fois exercer, jusqu’à sa mort en 1926, une autorité bénéfique sur l’ensemble de la famille.





          (13) Ahmed ben Hamda Lasram , (1907), peinture de Hédi Khayachi, appartenant à Aloulou et Khédija Chérif.




                                  (14) Chedly Khalsi, à sa droite son cousin maternel Belhassen Lasram (1896)


          Élève au lycée Sadiki de 1917 à 1921 puis au lycée Carnot de 1925 à 1928, Si Hacib débuta dans le magasin de son père, jusqu’à la mort de celui-ci en 1950. Depuis, il géra lui-même sa propre boutique de bonneterie, réservant une partie de son temps à la chasse dans les campagnes environnantes de la capitale. Une clientèle de vieux citadins lui resta toujours fidèle, mais son commerce ne tarda pas à succomber face à une concurrence de produits de moindre qualité et de moindre prix qui envahirent de plus en plus le marché. La liquidation complète de son magasin, en 1965, lui permit cependant une retraite aisée dans sa villa du Kram, goûtant à une vie paisible et sereine auprès de sa chère compagne Madame Fatma, fille du Cheïkh Mohammad Chouikha, de sa fille Hager, épouse du Docteur Ahmad Ridha Fareh et de sa petite-fille Rim, épouse Abderrazaq Zouari. Le souvenir de Si Mohamed Hacib Khalsi, qui nous quitta le 22 avril 1996, demeurera à jamais au plus profond de nos cœurs.







1 –  Cf. Jacques Revault, "Palais et demeures de Tunis (XVIIIè et XIXè siècles)", éd. du CNRS, 1983, (Dâr Khalsi), pp. 309-323. (Dans le cadre d’une réhabilitation du patrimoine architectural, le palais Khalsi a été entièrement rénové, en 1986, et aménagé  en restaurant gastronomique  (Dar Jeld).
 (D'après Revault, les Khalsi sont originaires d'e khlis en Arabie., installés d'abord à Djerba puis à Tunis).

2 - Cf. Jacques Revault, "Palais et résidences d'été de la région de Tunis (XVIè-XIXè s.)", éd. du CNRS, Paris, 1974, p. 195.

3 – Parmi les Khalsi qui faisaient partie des al-‘Achra al-Kibâr (assemblée des Dix Grands), notamment M’hammad ben Qâcim (m. 1859) et son fils aîné Mohammad (m. 1879). (Ce dernier était le frère consanguin de Lamine, père de Si Hacib).

 Mohamed Saïd ben Ahmed (Hmida) Khalsi (né en 1898 à Tunis, ), écrivain, journaliste, se rejoignit au « Jamâ’a Taht as-soûr » (groupe d’intellectuels : poètes, libres penseurs, chansonniers…). (Trois de ses poèmes: « Yâ zahratan fî khayâlî », "Ghannî yâ usfûr" et "Imlâlî" ont été interprétés en chanson par le musicien et compositeur Khémaïs Tarnane. Cf. Sadok Zmerli, "Figures tunisiennes - Les Successeurs" (Mohamed Said Khalsi (1898-1964) : poète et artiste), MTD, 1967, pp.261-278. (Un autre membre de la famille, Boubaker ben Ahmad Khalsi (né en 1900), vétérinaire, a été élu conseillé municipal de Tunis. Chevalier de la Légion d'Honneur ; citons encore Hassen ben Abderrahmane Khalsi (1931-2007) qui a été, avec Hammouda M'aly et Hammadi Jeziri, parmi les précurseurs du théâtre tunisien. Il a conquis une certaine célébrité à la télévison tunisienne depuis sa création en 1966 jusqu'à sa mort en 2007).).

5 - Md Larbi ben Mohamed Zarrouk (1822-1902) : farouchement hostile au protectorat français, lors de la signature du traité de Kasr Saïd, il s'opposa à Md Sadok Bey et se réfugia à la Chancellerie du Royaume-Uni. Il réussit à quitter le pays grâce à la complicité du Consul britannique. Il s'installa à Istambul puis à Médine où il est enterré. 




                                                                           Sources

  • Communications orales de feu Si Hacib Khalsi
  • Communications orales de mon oncle Si Béchir Lasram
  • Abdelhamid Henia, Origine et évolution d’un patrimoine familial tunisois (XVIIIème-XIXème siècles), « IBLA », 1984, n° 154, pp. 201-247 ; 1985, n°155, pp. 3-17.
  • Alya Hamza, Hanout al-Khalsi, un univers disparu, « La Presse », 6 avril 1986, p. 25.
  • Jacques Revault, « Palais et demeures de Tunis (XVIIIème et XIXème siècles), CNRS, 1980, pp. 309-323 ; « Palais et résidences d’été de la région de Tunis (XVIème-XIXème siècles) », CNRS, 1974, pp. 229-231.
  • Photographies aimablement confiées par feu Hacib Khalsi (2,3,5,6, 7) Béchir Lasram (13, 14) Héjer Khalsi Fareh (1,4) Frida Naïfer Senoussi (8,9).