samedi 19 mars 2016

Kh. Lasram: Rémanence d'images

Khaled Lasram
REMANENCE D’IMAGES

Sidi bou-Saïd, une rue, 2010, asp (40x20)








L’artiste dans son atelier




Khaled Lasram* est né le 1er août 1949. Il est à la fois universitaire et artiste plasticien. Durant quatre années (1971-1975), il a étudié à l’Institut technologique d’Art, d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, s’initiant à la technique du dessin et de la peinture dans les ateliers de Hédi Turki, Amor Ben Mahmoud et Habib Chébil. Il a obtenu une thèse de doctorat en Histoire de l’Art à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne sous la direction de Jean Laude (poète, ethnologue et historien de l’art moderne et contemporain, directeur du Centre de recherches théoriques sur les relations artistiques entre les cultures). Cet éminent professeur a été, pour le jeune étudiant, un véritable ami. Il n’a cessé de l’assister et de l’encourager dans ses travaux de recherches. C’est ainsi qu’il l’a recommandé à Jacques Foucart, à cette   époque, conservateur du musée du Louvre (en 1989, il devient conservateur des musées nationaux et conservateur général honoraire du département des peintures du musée du Louvre) qui lui a facilité l’accès au musée et qui a mis à sa disposition les fichiers d’œuvres, les dossiers d’artistes, les inventaires et catalogues d’expositions déposés au Centre de documentation. Parallèlement à une fréquentation assidue de ce centre, Khaled Lasram s’est rendu régulièrement à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, constituée en particulier d’un fond très riche d’ouvrages artistiques et de documents iconographiques. Par ailleurs, au cours de son séjour à Paris, il a visité un grand nombre de pinacothèques et de galeries d’art dans les principales villes de France et d’Europe.
De retour en Tunisie, il a enseigné, durant plus d’une trentaine d’années (1982-2014), à l’Institut supérieur des Beaux-Arts de Tunis. Abordant dans ses cours différents thèmes touchant principalement aux champs des arts plastiques, des arts appliqués, des arts graphiques et du design tels qu’ils se sont développés en Occident, il a essayé, en parallèle, de discerner les mécanismes de ces champs artistiques dans une réalité contextuelle arabe et en particulier tunisienne. Il est l’auteur de nombreux articles parus dans des revues culturelles et d’une monographie sur un peintre pionnier tunisien « Abdelaziz Ben Raïs » (Sud éditions,2006).
Depuis 1975, il a participé à plusieurs expositions de groupe et a organisé quatre expositions individuelles : Symphonie bleue (GalerieMédina,1990) –Kaléidoscope (Espace Sophonisbe,1993) –Eclats de signes (Diwan Dar Jeld,2007) –Rythmes et vibrations (Galerie Kalysté,2009).

* E-mail : lasram.khaled@gmail.com


Pureté géométrique et triomphe de la couleur 
                                    « Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude »
                                                                                                                                  P. Cézanne


Les peintures de Khaled Lasram jouissent aujourd’hui d’une certaine faveur auprès d’amateurs avisés et de collectionneurs. Elles se déploient dans une facture nettement personnalisée et l’on reconnaît, au premier coup d’œil, la touche de l’artiste et l’originalité de son langage plastique. Ces peintures varient entre une figuration assez prononcée, une semi-abstraction et des compositions délibérément abstraites.

Face à une diversité de sujets peints, Khaled Lasram a su conserver une certaine unité de style. Il nous révèle que « le sujet en lui-même n’est qu’un simple prétexte et que ce qui prime, dans une peinture, c’est sa qualité picturale, c’est-à-dire la mise en œuvre des moyens techniques et la manière particulière de traiter la matière. »

C’est dans le contexte d’un art qui privilégie l’expression individuelle et qui favorise le traitement inventif des formes que l’on peut saisir le sens même des œuvres de cet artiste. Celles-ci se libèrent de tout souci de ressemblance à un modèle initial. Elles se détachent du monde sensible pour n’être que de purs produits de l’imagination.

Khaled Lasram nous fait découvrir un monde intime et secret, entièrement construit au gré des formes et des couleurs et de leur qualité intrinsèque. Il rejette une réalité discréditée, aspirant avant tout à conquérir un pur royaume plastique.

Dans sa série de figures, les corps de ses personnages sont tordus par la géométrie, cantonnés dans des prismes colorés et se prêtent parfaitement à un jeu complexe de lignes entrecroisées. Quelques portraits, traités dans un lyrisme accru, non sans un certain maniérisme, rappellent ceux de Modigliani par leurs contours galbés, leurs yeux en amande et leurs visages très allongés.

Conservant le souvenir de la construction cubiste des formes alliées à un coloris éclatant, ses natures mortes se réduisent à des assemblages d’objets qui se recouvrent partiellement. Défiant les lois de l’attraction, ces objets sont disposés dans une logique purement structurale et formelle.

Dans nombre de toiles, un jaillissement de créatures fabuleuses, de figures humaines, caricaturales et fantasques, de poissons de toute sorte et d’animaux démesurés, recomposent, sur un fond de taches vives et de lignes étirées, un monde entièrement fictif et grouillant.

En revanche, dans d’autres toiles, l’artiste évolue vers une abstraction totale. Il s’agit de compositions traversées de long en large de stries ou de tracés réticulaires à partir desquelles s’articulent des fractions purement géométriques en tons plats. L’emploi de touches divisées rend la surface des tableaux plus vibrante et plus unitaire.

Néanmoins, Khaled Lasram n’abandonne pas totalement son environnement pour s’égarer dans les méandres de la spéculation et de l’abstraction pure. Dans bon nombre de paysages, il garde un certain lien avec son milieu familier. Ses vues panoramiques sont révélatrices de l’intérêt qu’il porte à sa terre natale, à ses contrées éblouissantes d’éclat et de verdure, à ses rivages au sable fin, aux vastes étendues de ses déserts et à la fertilité de ses oasis ombragées. Peintures luxuriantes chantant la lumière que prodigue généreusement une Tunisie méditerranéenne se distinguant surtout par la présence du bleu de ses paysages côtiers, de l’ocre de ses étendues sahariennes et de la blancheur immaculée de ses architectures.

Ces paysages ne sont pas des fragments d’une réalité visible ; ils sont présentés dans leur cohésion organique, à travers des éléments épars et partiels, dans une certaine unité logique. Il ne s’agit pas d’une topographie de l’espace au sens strict mais d’une transition d’une réalité concrète à un monde qui s’ordonne selon les structures et les rythmes du cosmos, une sorte de transposition « poétique » de quelques aspects de la nature nord-africaine saisis dans leur essence et dans leurs caractères constitutifs et invariables.

On retrouve d’ailleurs, dans certaines de ces « évocations » de paysages, un rapprochement avec les œuvres des « paysagistes abstraits », tels que Manessier, Bazaine, Bissière, Le Moal ou Vieira da Silva, dans le sens où ces artistes, chacun suivant son propre tempérament, ont cherché à mettre en évidence les grands signes essentiels de la nature et ses structures intérieures.

Dépassant la simple vue des choses, toute une prolifération d’images visuelles que le peintre capte autour de lui déferlent et se cristallisent dans sa mémoire, s’imprègnent dans les couches profondes de son être : rémanence d’images en bribes qu’il essaye de recoller et de recomposer suivant un ordre purement plastique, en jouant d’une manière arbitraire et fortuite sur les formes et les couleurs dans leurs diverses combinaisons possibles. Il tente ainsi de rassembler, sur le puzzle constituant le monde perçu, de nouvelles structures qui s’articulent parfaitement au rythme des variations chromatiques et formelles

Sur un même thème, on retrouve ainsi de multiples variantes: des villages aux constructions typiques flanquées de dômes et d’arcades en plein cintre («Effet d’ombre», «Médina», «Paysage au minaret», «Koubba et marabout»…), des scènes hantées de créatures apocalyptiques et d’oiseaux fabuleux («Personnages fantastiques», «Diables effrayants», «Procession», «La basse-cour», «Le paradisier», «Oiseau de feu»…), des paysages à des moments différents du jour et de la nuit («Féerie du matin», «Embrasement de lumière», «Feu d’artifice solaire», «Vision nocturne»…) ou des paysages changeant suivant le cycle des saisons («Feuilles d’automne», «Paysage hivernal», «Coup de soleil», «Canicule», «Sirocco»…).

De la présence inopinée de personnages, de bêtes et d’architectures, de l’émergence ici et là d’éléments spécifiques (tels que ces étoiles à cinq branches, ces croissants de lune ou ces signes de Tanit), un univers étrange et pénétrant resurgit, s’apparentant aux fantasmes du peintre et à ses rêves.

Toute une panoplie de motifs inspirés du milieu dans lequel vit l’artiste constitue les éléments fondamentaux de son iconographie. Epurant leur aspect naturel jusqu’à la désincarnation, il les ramène à de simples gestes graphiques : minarets et coupoles, stipes ligneux de palmiers, arbres aux branches arquées, disques solaires ou lunaires, visages grotesques tracés de face ou de profil, animaux stylisés et surtout une multitude de diagrammes, de signes hiéroglyphiques, de calligraphies et de symboles empruntés aux arts traditionnels et aux vestiges du passé. Tous ces éléments composites se confondent pêle-mêle sur le fond de la toile ou du papier. Mais un certain équilibre les maintient grâce à une rigoureuse construction d’obliques et de verticales balisant tout l’espace pictural, grâce aussi à une répartition équitable des masses et un habile agencement des surfaces colorées ; ce qui confère à ces œuvres une consistance et une certaine rythmique. Khaled Lasram prend à témoin Picasso qui disait : « Je mets dans mes tableaux tout ce que j’aime. Tant pis pour les choses, elles n’ont qu’à s’arranger entre elles ». En effet, dans un éblouissant foisonnement d’éléments emboités, agrégés, tout se construit, tout s’ordonne dans une sorte de corrélation mutuelle et de stabilité.

L’autonomie de la couleur et de la ligne s’accomplit ici pleinement, chacune y acquérant un maximum d’intensité. Au mode d’utilisation du dessin, correspond nécessairement un mode d’utilisation de la couleur. Cette quête conduit l’artiste à accentuer les formes, à accuser leur volume par des hachures marquant les demi-teintes ou par une vigoureuse opposition des zones d’ombres et des zones éclairées. Une profusion de graphismes, de formes fractionnées et de touches de teintes vives crée, par leur simultanéité, un espace mouvant et dynamique devant lequel nous ressentons un certain enchantement qui n’est autre que celui de l’alchimie de la couleur et de la magie de l’art.
                                                                                        Wacif A., 2 mars 2015



De la réalité concrète à un monde de fiction
(Rencontre avec l’artiste-peintre Khaled Lasram)


Professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis, Khaled Lasram est nouvellement retraité. Il consacre beaucoup de son temps à peindre et à écrire. Nous avons recueilli quelques propos de lui lors d’une rencontre fortuite, le 15 mai 2015, dans une galerie d’art de la banlieue de Tunis.

-    Votre première participation à une exposition de groupe remonte, dites-vous, à 1975. Depuis, vous n’avez cessé de vous manifester en public quoique d’une manière assez sporadique. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé, parallèlement à votre activité d’enseignant, à pratiquer continuellement la peinture ?

-    Peindre est en soi un acte de délectation et de passion. Les artistes, les écrivains, les poètes n’ont pu créer leurs œuvres immortelles que sous l’emprise de la passion. « Je ne sus jamais écrire que par passion », avouait Rousseau ; et au père Couturier, Matisse déclarait en 1951 : « On dit que tout mon art vient de l’intelligence. Ce n’est pas vrai : tout ce que j’ai fait, je l’ai fait par passion. » A l’instar des autres modes d’expression artistique (littérature, poésie, musique, architecture, arts du spectacle…), la peinture est en elle-même une source de bien-être et de réconfort. Elle rend la vie plus attrayante. Elle affecte notre culte de la beauté. Elle égaye nos intérieurs. Elle est aussi le plaisir du regard et surtout un moyen d’évasion qui nous fait échapper aux tensions et aux contraintes de l’existence, à la monotonie du quotidien. L’art est, selon la théorie freudienne, un défoulement, une libération de nos pulsions réprimées, une sublimation de nos instincts. Pour m’en tenir à votre question, j’emprunte à juste titre ces quelques mots à Robert Delaunay qui disait :« Je vis ; l’art est un moyen de se réjouir et de vivre, et c’est tout. »

-    Ce que vous venez de dire confirme que l’acte de peindre constitue pour vous une vraie raison d’être. Il est de notoriété que vos peintures sont appréciées aujourd’hui par beaucoup de gens qui trouvent dans la variété des thèmes que vous traitez un signe de richesse et de virtuosité. Mais il faut reconnaître qu’à certains moments, il vous arrive de passer ex-abrupto de la figuration à l’abstraction. Cette attitude ne vous paraît pas quelque peu déconcertante ?

-    Je pense que ma peinture n’est, à proprement parler, ni figurative ni abstraite. A part quelques exceptions, la majorité de mes œuvres se situent à mi-chemin. Si l’on tient à les définir, je dirais qu’elles sont semi-figuratives ou si vous préférez semi-abstraites. Elles se composent essentiellement de figures exécutées d’une manière schématique, à caractère allusif et analogique, évoquant des personnages, des arbres, des architectures et toute sorte de choses plus ou moins identifiables. Ces figures participent à l’édification de structures plastiques, dont la qualité absolue et la principale finalité consistent en une certaine stabilité formelle et une certaine harmonie chromatique. Cela dit, je ne suis pas une exception ; beaucoup d’artistes font en même temps ou par moments de l’abstrait et du figuratif. L’exemple le plus proche de nous est celui de mon ancien professeur Hédi Turki (pour lequel je souhaite un prompt rétablissement). A côté de ses toiles abstraites (rappelant le style américain « colour field painting »), il a exécuté au fusain ou à la mine un grand nombre de portraits d’après modèle, très expressifs et dans une manière qu’il qualifiait lui-même de « réaliste ». La plupart des peintres modernes ont d’ailleurs connu, dans leur parcours artistique, bien des revirements. C’est le cas notoire de Braque ou de Picasso. Après la période effervescente du cubisme, ils se remettent chacun à l’école des vieux maîtres en reprenant des thèmes anciens. Cette remise en question perpétuelle, dans la carrière d’un artiste, est le fait même de l’évolution de son art marqué d’étapes successives, de changements continus, de soubresauts et d’hésitations. Cela est dans la nature même de son non-conformisme et de son aptitude à créer et à rénover. Je me contenterai de citer une fois de plus Robert Delaunay dont l’œuvre cumule à la fois les deux tendances « figurative » et « abstraite ». Après une courte durée cubiste, avec sa série de « Tour Eiffel » (1908), Delaunay évolue graduellement vers l’abstraction en entamant sa série de « fenêtres » (1912). Le motif de la fenêtre aboutit, dans ses « Disques et formes circulaires » ou dans ses « Rythmes sans fin », à une peinture pure dans laquelle toute référence à l’objet est bannie.  Cependant, il revient fréquemment à ses anciens thèmes, notamment celui de la Tour Eiffel. Un retour à la figuration s’effectue enfin, durant les dernières années de sa vie, avec des natures mortes et des représentations de personnages.

Permettez-moi d’évoquer un peu l’histoire afin de vous démontrer qu’avec l’avènement de l’art moderne et la naissance des avant-gardes (début XXème siècle), les barrières qui séparaient jusqu’alors les différentes formes d’expression ont commencé à s’ébranler et différents genres et catégories ont été peu à peu abolis. Depuis, la dualité entre « figuration » et « abstraction » est devenue en elle-même une question subversive et de nos jours, elle perd tout son sens. Nous savons que l’art abstrait aussi bien que l’art figuratif ont de tout temps reposé sur des hypothèses esthétiques et des règles codifiées. « En art, note Cézanne, tout est théorie, développée et appliquée par contact de la nature ». Dans la tradition figurative qui dominait l’art occidental depuis la Renaissance, les artistes, même s’ils ont inventé des modes de représentation fondés sur l’illusion et le trompe-œil, étaient conscients de l’écart existant entre l’image peinte (ou décrite) et la réalité visible. Les courants et écoles successifs de peinture ont interprété différemment la nature et celle-ci n’a été en somme, pour les artistes, qu’un prétexte et un point de départ.

Les peintres d’Avant-garde, à l’encontre de toutes les conventions académiques héritées du siècle précédent, n’avaient plus besoin de contrefaire la nature pour créer leurs propres structures picturales. La transgression a commencé avec eux. Rejetant les règles qui régissaient la perception de l’espace, ils représentent un monde où coexistent en même temps plusieurs perspectives. Les proportions se trouvent bouleversées, les dimensions et relations habituelles n’ont plus cours, les canons esthétiques du classicisme sont révolus, cédant la place au traitement des formes et à leur décomposition. Ces innovations, prônées par des mouvements tels que le Cubisme et ses dérivés (Rayonnisme, Section d’or, Orphisme, Purisme, Suprématisme, Constructivisme…), aussi bien que le Dadaïsme, le Futurisme ou même le Surréalisme, tous ces mouvements posent une nouvelle problématique, celle d’une quête d’expressions individuelles, et frayent le chemin à un art autonome qui ne signifie rien au-delà de lui-même et qui ne garde que peu ou prou de liens avec le monde des apparences. L’abstraction devient ainsi une forme d’expression essentielle de l’art du XXème siècle.

Même les courants stylistiques des années 60, créés en réaction aux tendances abstraites et à l’art informel (l’Hyperréalisme, le Nouveau réalisme, la Nouvelle figuration ou le Pop art) s’éloignent de la réalité concrète en donnant à la peinture la neutralité de la photographie et en appliquant des techniques d’illusion et de dissection d’objets quotidiens.

  
     Réconciliation entre art et mémoire

-      Passons à un autre sujet qui nous touche de près : en tant que théoricien et praticien, que pensez-vous actuellement du climat général des arts plastiques dans notre pays ?

-      On assiste, en ce moment, dans quelques lieux d’exposition, à une multitude de rapins épris de nostalgie qui s’obstinent à perpétuer inlassablement les stéréotypes d’un folklorisme obsolète et qui, avouons-le, réalisent la plupart du temps une peinture clinquante et de mauvais goût.  Pourtant, ceux-là mêmes reçoivent l’approbation d’un public majoritaire et par-dessus tout non averti. L’amateur tunisien, au goût restrictif, encourage cet art désuet, optant pour un réalisme anecdotique seul, à ses yeux, capable d’immortaliser les scènes mémorables et pittoresques de son beau pays.
A vrai dire, on ne peut aspirer à une culture de haut niveau qu’une fois que les nécessités vitales et les exigences élémentaires de notre société sont, en priorité, satisfaites. C’est alors que de nouveaux besoins, d’ordre artistique et esthétique, certes moins impérieux mais plus nobles, vont se créer et permettre ainsi un accès plus facile de la part d’un large public à l’œuvre d’art. Ma conviction est que cette distance qui sépare jusque-là le public du domaine artistique pourrait être atténuée grâce à la réalisation d’un large programme de sensibilisation dont la responsabilité incombe, en premier lieu, au Service des Arts plastiques. Ce service, attaché au Ministère de la Culture, devrait se mettre en coordination avec d’autres institutions étatiques (relevant en particulier du domaine de l’éducation, du tourisme et de l’information) afin de parvenir à mettre en application les mesures suivantes :



  •  Une initiation plastique de base au niveau de l’enseignement primaire et secondaire ;
  • Des débats et des conférences médiatisées sur des thèmes artistiques ainsi que des interviews télévisées menées régulièrement avec des plasticiens ;
  • La publication et la diffusion d’une revue locale spécialisée dans le domaine des arts plastiques ;
  • La création pressante d’un musée consacré à l’art moderne et contemporain, médiateur indispensable entre art, artiste et public, (à ce propos, Il est fort regrettable que, depuis la fermeture de l’ex Centre d’Art Vivant du Belvédère, en 1991 (transformé en mess des officiers)), le projet de réalisation d’un nouveau musée n’ait pas encore abouti) ;
  • Enfin, la Commission d’achat (dépendant du Service des Arts plastiques) devrait, à mon humble avis, cesser de secourir les exposants « malchanceux » qui n’ont pas réussi à vendre leurs œuvres depuis longtemps et se fixer pour seul et unique critère l’acquisition d’œuvres qui, par leurs qualités plastiques, stylistiques et techniques, pourraient servir de références, de modèles ou de repères et méritent ainsi de figurer dans les collections de l’Etat, notamment du futur Musée d’Art moderne. Cela évitera un encombrement de productions entassées dans les réserves du palais de Kassar-Saïd, et dont bon nombre sont d'un intérêt médiocre, où l’urgence d’un tri soigneux de ces œuvres se fait sentir aujourd’hui. Il est évident que cette tâche, exigeant à la fois une certaine lucidité et une haute conscience morale, devrait tout au moins incomber à une équipe de spécialistes solidement formés dans une institution artistique et universitaire.

En considérant les choses sous un angle plus optimiste, il existe de fait une poignée d’artistes ayant reçu le plus souvent une formation dans des écoles d’art et qui font preuve, pour leur part, des savoir-faire et d’inventivité. Jouissant d’une certaine liberté d’action, ils nous livrent à travers leurs pratiques (menées pour certains d’entre eux dans un cadre universitaire et surtout appuyées par une réflexion théorique), des expériences fructueuses et d’une grande sensibilité. Il faut dire, hélas, que ces artistes (toutes tendances et tous styles confondus), une fois affrontant les espaces publiques, ne sont pas toujours estimés à leur juste valeur. Par leurs jugements d’appréciation et leur impartialité, les chroniqueurs et critiques d’art, devraient s’assigner pour noble tâche le soutien moral et la reconnaissance de tous ceux parmi les plus qualifiés et les plus méritants de nos jeunes talents.

La peinture, en tant que moyen d’expression, aujourd’hui en mal d’inspiration, prendra un nouvel essor, retrouvera un regain de vigueur et une véritable régénération en assimilant les signes et les symboles, la calligraphie et l’enluminure, les tatouages prophylactiques, les ornements, l’artisanat, en intégrant toutes les traces artistiques d’une culture au riche passé. Ali Bellagha et Néjib Belkhodja ont été parmi les pionniers à saisir l’intérêt d’une telle démarche (le premier concernant les arts populaires, le second, l’architecture traditionnelle). Matisse lui-même ne s’est-il pas inspiré des tapis orientaux et des carreaux de céramique qu’il a ramenés de son voyage au Maroc ?). Ainsi s’accomplira une réconciliation entre art et mémoire : synthèse harmonieuse à laquelle aspirent, à travers leurs œuvres ingénieuses, une frange importante de nos jeunes plasticiens.
                                                                
                                                          Propos recueillis par Khouloud Amraoui ; Le Temps (31 mai 2015)





(Abréviations: asp (acrylique sur papier), ast (acrylique sur toile), ccsp (crayons de couleurs sur papier)





Nu accroupi, 2010, asp (55x40)




Couple, 2004, asp (63x50)





Bal masqué, 2013, ast (100x100)




Abou Yazid, l’Homme à l’âne, 1990, asp (28x20) 




Le décharné, 1990, pastel (65x50)




Lanceur de javelot, 1992, asp (51x34) 




Pêcheur au clair de lune, 1992, asp (50x33)




Jeune homme au châle bleu, 1990, asp (65x50)




Jeune fille au crâne rasé, 1990, asp (56x36)




Portrait de femme rousse, 1990, asp (65x50)




Femme aux yeux châtains, 1992, asp (48x33)




Le petit-déjeuner, 1994, asp (62x49)




L’artichaut, 2007, asp (52x38)




Vase à fleurs, 1992, pastel (65x50)




 Vase aux feuilles de gommier bleu, 2014, as carton (73x62)

                                              

La parade des oiseaux, 1990, asp (63x43)




 Les oiseaux du couchant, 1991, asp (56x39)




Poissons, oiseaux et volailles, 2013, ast (100x100)


        

 Le perroquet, 2010, asp (55x40)


                  

 Deux figures et pigeon paon, 2013, ast (100x100)

                    


Nature encombrée, 2011, ast (97x97)


                                                    

Paysage à Radès, 2013, ast (80x60)




       Paysage au minaret, 2013, ast (80x60)
                



Portail ouvrant sur vue, 2013, ast(80x60)




Gammarth village, 1990, asp (50x35)


                       

Paysage d’été, 2000, ast (60x50)


                                                    

Les plages de Korba, 1987, ast (80X60)


                                                 

Carthage Amilcar, 1989, ast (81x65)



      Paysage désertique, 1997, ast (143x91)




Paysage de Chénini, 1995, ascp (145x80)


                                               

Blanc, vert, rouge, 2010, asp (50x34)




            Bleu, violet, orange, 2011, ccsp (30x20) 
             



Imbrications, 2014, ast (119x90)


                                                       

Lignes créatrices, 1992, asp (60x40)




Graphismes, 1992, asp (65x50)


                                 

Calligraphie, 2013, ast (80x60)











































Une articulation linéaire de l’espace, une palette franche et lumineuse, deux critères prédominants dans la peinture de Khaled Lasram. Certaines œuvres conservent des références figuratives, d’autres sont purement abstraites, d’autres encore se chargent de signes symboliques, mais toutes se maintiennent dans une expression typiquement personnelle à travers laquelle l’artiste a su préserver une parfaite uniformité de style.


                                                                                                                     Tunis 2015