vendredi 27 mars 2020

Faouzia Hicheri ,xylographe


                               
                                        
                                      Faouzia Hicheri, xylographe

                                                                                 
Née en 1946 à la ville côtière de Nabeul, Faouzia Hicheri entre à l'Ecole des Beaux-Arts de Tunis en 1972. Elle s'initie à l'art de la gravure dans l'atelier de Khalifa Chaltout (1). Munie de son diplôme en 1976, elle obtient quatre années plus tard une maîtrise en esthétique de la gravure à l'Université de Paris I. Elle se perfectionne dans cette spécialité en séjournant, de 1978 à 1980, à la Cité des Arts de Paris où elle présente une série de xylographies de format réduit illustrant le thème de "la femme tunisienne". Elle participe à d'autres expositions de groupe à Paris : IVème Salon des artistes indépendants - Exposition de la Méditerranée - Association des jeunes peintres français. Dès son retour en Tunisie, elle anime l'atelier de gravure à l'Ecole des Beaux-Arts de Tunis (1981-2012), puis, durant les dernières années de sa carrière d'enseignante,  à l'Ecole des Beaux-Arts de sa ville natale Nabeul. (2)

 Sa toute première exposition s'est tenue en 1978 à la galerie Ibtissem. Des années durant, elle participe régulièrement à plusieurs manifestations  nationales et à travers le monde, notamment en Bulgarie (1987) et au Maroc (1990), expérimentant aussi bien la technique de la gravure sur bois de bout que celle de la taille-douce.




                                                        "Ombre", Gravure sur bois et acrylique (60x50 cm), 1985

                                                    
                                 
Sous le titre « Genèse, évolution et maturité d’une xylographie », une série de  compositions monumentales sont réalisées par l'artiste et exposées au cours du mois de juillet 1992  à la galerie Blel (Menzah V). Il s'agit de matrices empreintes sur papier chiffon et enduites d'encre pâle dans une dominante de gris-bleu. Des figures lumineuses dépouillées ou vêtues  de costumes traditionnels sont saisies dans les nuances les plus subtiles. En choisissant comme thème de prédilection "la femme tunisienne",  Faouzia Hicheri mêle à ses personnages toute sorte d'éléments puisés au fond de notre patrimoine: tatouages, fibules,  signes berbères... (3)


                                                      

                                               Gravures sur bois exposées à la Galerie Blel


Réunissant une multitude de gravures réalisées sur bois ou sur plaque de zinc ou de cuivre, elle présente un ensemble de ses œuvres à la Triennale internationale du graphisme en Egypte (1997). En août 2010, elle participe à l'exposition "Hommage à la création féminine" organisée à la galerie Blel. Plusieurs artistes femmes partagent les cimaises et la diversité de leurs styles constitue ainsi une variété d'expériences originales et multiples.



(1) Pour plus d'information concernant l'atelier de gravure à l'Ecole des beaux-arts de Tunis, cf. Claude Guenard : "L'atelier de gravure et la diversité des techniques employées", Institut technologique d'art, d'architecture et d'urbanisme de Tunis (service de publication), 1984. 


                                     

                                 L'atelier de gravure en 1984, photographie Claude Guenard

(2) Parmi les artistes graveurs  diplômés de l'Ecole des Beaux Arts de Tunis et qui ont poursuivi leur formation en France : Khélifa Chaltout, Gouider Triki, Mohamed ben Miftah, Bakir ben Fraj et Hédi Labbane.

(3) Cf. Kh. Lasram : Faouzia Hicheri, xylographe, in journal "Le Temps", 12 Juillet 1992, p. 9.            









mercredi 11 mars 2020

kh. Lasram, un artiste-artisan






                                           Khaled Lasram, un artiste-artisan
                                                                         
                                                                           "Tout homme est en droit dans son quotidien d'être entouré de beaux objets"                                                                                                                                           (William Morris, "L'art et l'artisanat")

                                                    


Khaled Lasram est aujourd’hui parmi nos artistes aînés dont les œuvres jouissent d’une notoriété certaine auprès des amateurs d’art. Même s’il ne se manifeste que rarement depuis quelque temps aux expositions de peinture, on reconnaît toutefois aisément son style particulier à travers des toiles aux sujets divers, traitées généralement dans des formes stylisées ou des figures plus ou moins abstraites rehaussées de couleurs  vives.

 Mais ce que l’on connaît le moins de lui, c’est son penchant pour les arts décoratifs.  A ses heures perdues, il confectionne des objets de toutes sortes en s’inspirant  de la tradition locale, développant  ainsi un concept assez particulier où s’affirme son propre cachet. Ces objets sont soit préconçus et réalisés entièrement par lui  ou commandés à des artisans. Ils trouvent tous leur place à côté de bien d’autres reliques chinées dans les échoppes des souks ou dans les brocantes. Passionné par les objets anciens, un de ses passe-temps favori est de fouiner dans les marchés aux puces ou dans les vieilles boutiques, découvrant de  rares bibelots pour lesquels  il a un coup de cœur.

 Ancien élève de l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis (1971-1975), Khaled Lasram poursuit ses études supérieures à la Sorbonne Paris I (1975-1981), où il prépare une thèse en Histoire de l’Art.

 Le choix de son sujet sur « les peintres orientalistes français en Egypte » l’incite à finaliser ses recherches en procédant à un dépouillement systématique des collections de certains musées de peinture nationaux à Paris  et dans quelques villes de province.

 Il ne manque pas à s’intéresser aussi, parallèlement, au domaine des arts décoratifs en se rendant fréquemment au Musée Carnavalet (consacré à l'histoire de la ville de  Paris, quartier du Marais), à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine (Palais Chaillot)  et en particulier au Musée des Arts Décoratifs. Ce dernier, situé dans l'aile Marsan du palais du Louvre (rue Rivoli), réunit l’une des plus importantes collections d’ameublement et de produits design.

 De retour en Tunisie, Khaled Lasram se rendait à plusieurs reprises au département islamique du Musée du Bardo, (accompagné le plus souvent par son professeur, Mohamed Yacoub, auquel le liait une indéfectible amitié) (1). Il se rendait aussi au Musée des Arts et Traditions populaires (ouvert à partir de 1978 et situé dans la médina de Tunis) renfermant  des collections de produits artisanaux traditionnels : meubles anciens, ustensiles domestiques, costumes brodés, bijoux d'art autochtones...

 Il réintègre l’Institut supérieur des beaux-Arts de Tunis où il enseigne, durant plus d’une trentaine d’année, la discipline  de  l’Histoire de l’Art (1982-2014). Ses cours se rapportent aussi bien à l’évolution de la peinture et de l’architecture à travers les principaux courants artistiques et stylistiques, qu’à celle des métiers d’art, de  l’architecture d’intérieurs et notamment du design produit.

 L’une des idées fondamentales de  son enseignement se résume dans le fait qu’il n’existe pas de clivage aussi net entre «l’artiste » et « l’artisan » et que seul  prévaut leur savoir-faire.  En ce sens, il démontre que la dénomination historique d’« art pur » et d’« art décoratif » ou d’ « art majeur » et d’ « art mineur » est de nos jours dépassée et doit plutôt être comprise comme une continuité. La distinction entre « art » et « artisanat » demeurant  en elle-même assez imprécise, l’exemple de l’artisanat  tunisien en particulier est significatif.

Ces deux notions  étaient bannies et inexistantes dans la société traditionnelle tunisienne. L’artisanat, fondé  sur d’anciennes traditions, certains métiers témoignent d’un riche registre de créativité artistique tant dans le style architectural  que dans la symbolique des formes et la science raffinée des couleurs. Il serait donc plus judicieux que l’on cesse de considérer l’activité artisanale sans rapport avec les arts plastiques. Nombre de productions pourraient être classées dans les deux catégories.

A ce propos, il convient de citer au passage l'initiateur des "Arts and Crafts", William Morris, qui prône, à la fin du XIXème siècle, le retour aux valeurs créatrices de l'artisanat. Travaillant lui-même comme artiste et artisan, il se propose de renouveler et de revaloriser certains métiers d'art. Il défend l'idée que la distinction entre l'art et l'artisanat devait être abolie. "Tout homme, à son échelle, pouvait être producteur de beauté".

L'expérience de l'architecte catalan Antoni Gaudi (1852-1962) est aussi intéressante. En intégrant à ses constructions architecturales des ouvrages artisanaux (ferronnerie, céramique, verrerie...), il réussit à créer une synthèse de tous les arts et métiers et en même temps une parfaite symbiose de la tradition et de l'innovation. Il puise surtout dans les sources patriotiques catalanes mais aussi dans le patrimoine artistique andalous en  s'inspirant notamment  des azulejos (carrés de céramique) que les artisans nasrides employèrent au XIIIème siècle afin de garnir les murs de  l'Alhambra de Grenade.  

Parmi les événements marquants que l'on peut évoquer à cet égard, le rôle qu'a joué en Allemagne Walter Gropius en fondant le Bauhaus (1919-1933), une école d'architecture et de design résultant d'une fusion de l' Ecole supérieure d'art avec celle des arts décoratifs.

Le Bauhaus se composait de plusieurs ateliers (poterie, textile, métal, menuiserie, verrerie et théâtre), dans lesquels les élèves apprentis devaient expérimenter la dextérité de maîtres artisans qualifiés et mettre à l'épreuve les théories élaborées par les professeurs enseignants. Un tel programme se conformait à l'idée répandue dès la seconde moitié du XIXème  siècle selon laquelle "tous les artisans étaient artistes, et que les artistes devaient être de bons artisans".

La réhabilitation des métiers de l'artisanat traditionnel, leur valorisation culturelle et leur promotion au niveau du marché sont parmi les questions cruciales qui ont été abordées par Khaled Lasram dans ses cours théoriques. Il défend l'idée qu'à travers la conception et la réalisation du produit artisanal, il serait avantageux d'expérimenter de nouvelles approches en favorisant une coopération étroite avec de jeunes diplômés en arts plastiques ou en design produit.

 L'idée d'une réconciliation entre art et artisanat se retrouve tout aussi bien appliquée chez Khaled Lasram à travers sa propre pratique. Plutôt que d'être fermé dans des catégories claires et tranchées, peu importe pour lui qu’il soit considéré comme artiste ou comme artisan, l’essentiel étant de pouvoir réussir à réaliser une œuvre qui puisse plaire par l’effet  qu’elle procure à nos sens. Un kilim ou un margûm (tapisseries de laine à tissage ras décorées  par des motifs berbères (regma) et comportant une riche gamme de couleurs), une fois utilisés comme tenture murale, peuvent tout aussi bien avoir autant d’effet et d’harmonie dans un intérieur qu’un tableau de peinture.

 Cependant, on sait qu'à partir des années 60, des artistes ont transformé radicalement les techniques du tissage en incorporant à leurs œuvres textiles des références à l'art moderne et contemporain. Jusque-là cantonnée dans le domaine d'un artisanat archaïque qui n'est plus conforme au goût du jour, la tapisserie s'est ainsi défaite d'un certain préjugé grâce à ces artistes qui n'ont eu cesse de renouveler leur approche du tissage en le considérant en tant qu'un langage plastique à part entière et en tant qu' une intervention sur la matière directe et créative. (2)

 Durant ses études aux beaux-arts, Khaled Lasram ne manquait pas de se rendre en pleine ville, rue de Yougoslavie, où se tenait la galerie d’art, d’antiquités et de créations, appelée « Le Métier » et dirigée, à partir des années 60, par Ali Bellagha (1924-2006) et par son épouse Jacqueline Guilbert. Un des meilleurs représentants de l’Ecole de Tunis, A. Bellagha fut l’artiste-artisan par excellence. Il développa à travers sa démarche une approche moderniste des métiers d’art en essayant de revaloriser l’artisanat tunisien et de l’actualiser. Il travailla dans toutes sortes de matériaux : cuivre, argent, pierre, laine… et surtout le bois à la manière des sculpteurs artisans en réalisant des compositions en nature-morte. Ce maître eut un certain impact sur toute une génération d’artistes, en affinant  leur  goût pour les arts traditionnels.






Khaled Lasram  nous a accueilli chez lui avec beaucoup d’amabilité et de bienséance ; c’est là que nous avons découvert son monde secret. Une charmante porte à deux battants, richement décorée de motifs cloutés, ouvrage du maître de séant, marque l’entrée de la villa. Celle-ci, munie de larges fenêtres dotées de grilles en fer forgé travaillé sous le marteau, ouvrent sur un vaste jardin planté d’oliviers, de citronniers, de grenadiers et de bougainvilliers.






 Au salon, nous accédons à un lieu unique  autour de la beauté de l’ancien : le sol est entièrement recouvert  de tapis de laine typiquement kairouanais, colorés dans les teintes naturelles blanc-marron. Les murs sont garnis de toute une rangée de miroirs vénitiens, de portes-armes recouverts d'arabesques finement ciselés, d'étagères ornées d'éléments fraisés et d'une panoplie de portraits peints ou photographiques de personnages familiaux, à l’allure imposante, dont certains coiffés de superbes turbans à la mode ancienne. 















                                                                 


  



 Le mobilier est composé essentiellement de bancs décorés de rangs de lambris, de  coffres de dimensions variées couverts de plaques de cuivre ou incrustés de nacre, de bahuts munis de serrures spécialement commandées aux derniers forgerons de Bab-Ménara, aujourd’hui tous disparus, de porte-coran pliants en bois massif sculptés à la main, de braseros en laiton et une superbe cassolette au couvercle ajouré dans laquelle brûle des bâtonnets d'encens. Toute une rangée d' armoires, minutieusement peintes par l’artiste de motifs floraux, de vasques, d’oiseaux stylisés et d'arabesques rehaussés de couleurs pastel, contiennent toute sorte de fibules en argent soigneusement rangées, de fioles et d’aiguières en verre et opaline, d’anciennes médailles et pièces de monnaie, de corsages finement brodés de fils d’or sur velours… Dans ce  mélange exubérant d’articles d’ici ou d’ailleurs, importés d'Europe, issus du savoir-faire des artisans tunisien et souvent récupérés et embellis par l'artiste lui-même, celui-ci réussit à concilier, dans une parfaite symbiose et une exquise  harmonie, le goût oriental et moderne.

















































Notre hôte s’avère être un fervent collectionneur, consacrant ses loisirs à prendre soin  de tout un ensemble  de manuscrits enluminés et calligraphiés dans le style typiquement maghrébin ainsi que d'anciens ouvrages reliés cuir et dorure à l'or fin, hérités de son père. Une partie de sa bibliothèque, spécialisée dans les livres d’art, comporte notamment une série d’albums garnis de timbres-poste du monde entier dont certains provenant d’émissions anciennes limitées ou d’une grande rareté. Il y a aussi de vieilles cartes postales dénichées pour la plupart chez les bouquinistes des quais de Seine, des gravures, des  estampes et notamment des magazines illustrés de photogravures et de lithographies, achetés habituellement à la Librairie "Le Tiers Mythe", rue Cujas (tels que le magazine "La France coloniale", collection XIX, dont le texte, écrit par Alexis-Marie Cochet, est garni d'une belle illustration de la Grande Mosquée de Kairouan (1888)). On y trouve surtout une série d'albums contenant des  photographies originales de vues typiquement maghrébines datant de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. De véritables trésors que Khaled Lasram a sélectionné et a amassé depuis sa  tendre enfance, avec tellement de soin, de passion et d’amour ; de quoi ravir les amateurs de belles choses !  



                                                  Illustration de La Grande Mosquée de Kairouan (3)



Vue de l'entrée du port de Tunis, gravure XIXè s. (Imp. Gilquin et Dupain, r. de la Calandre 19, Paris)



   Couverture d'album cartes postales : scènes et types de Tunisie, Algérie et Maroc






 Palais du Bardo, SA Naceur Bey entouré de sa suite sur l'escalier des Lions 



Le casino du Belvédère



Couverture d'album cartes postales : scènes et types d'Egypte



Au bord du Nil



  Vues du Sud



Couverture d'album contenant 17 photographies prises vers 1867 par E Michel et rehaussées par Carle Bertolaja : "Campagne de la Kabylie tunisienne"




En frontispice : "Campagne dans la Kabylie tunisienne de Son Excellence Ahmet Zarrouk, Ministre de la guerre"





                       " Son Altesse Aly Bey se repose dan un olivier après le passage du défilé"


                       
                  Son Altesse Mohamed El-Hédi Bey (1902-1906), (photographie originale, 1902)



                Son Altesse Mohamed-En Naceur Bey (1906-1922), (photographie originale, 20x24)


Notes :

(1) Mohamed Yacoub (1937-2011), ancien conservateur en chef des musées et auteur du livre "Les merveilles du musée du Bardo" (éd. Contraste, Sousse 2021).

(2) Safia Farhat, directrice de l'Ecole des Beaux Arts de Tunis (1965-1981) a été la pionnière de la tapisserie moderne en Tunisie. Elle a créé au sein de l'Ecole un atelier de tissage.

 (Parmi nos artistes formés dans cet atelier : Fadwa Dagdoug,  Fatma Samet, Houda Rajeb et Salma Fourati qui ont repensé,  chacune à sa manière, le tapis traditionnel en lui conférant une touche de modernité. En 2010, des expositions de tissages, réalisée par des étudiants, ont été organisées à la Maison des Arts du Belvédère (Tunis)). 

 (Notons que le contact qu'ont eu les étudiants avec l'artiste américaine Sheila Hicks, lors de l'exposition de ses œuvres monumentales, en 1972 au Club Tahar Haddad, a été très fructueux.. Cette dernière, dans un esprit moderniste, s'inspire à la fois du design, de la décoration et des pratiques textiles héritées de l'art précolombien). 


(3)

(Il s'agit de l'une des toutes premières photographies prises en Tunisie par J. Garrigues vers 1880 : "La Grande Mosquée de Kairouan. (Collectie - Tropenmuseum Buit enmuur van de grote moskee van Kairouan)).


                                                                                                               Wacif