Œuvres
peintes de Khaled
Lasram
Une poésie de l’osmose et de l’harmonie
Calligraphie, 1975, ast (74x59)
Abréviations : asp (acrylique sur papier) ; ast
(acrylique sur toile) ; ascp (acrylique sur contre-plaqué)
« C’est
trop peu de dire que nous vivons dans un monde de symboles, un monde de symboles
vit en nous. »
Signes prophylactiques, 1983, ast (85x85)
Khaled Lasram (né le 1er août 1949 à
Tunis). Diplômé de l’Institut technologique d’art d’architecture et d’urbanisme
de Tunis (1975). Docteur en Histoire de l’art (Sorbonne, Paris I, 1981).
Professeur de l’enseignement supérieur à l’Institut supérieur des beaux-arts de
Tunis. Il se consacra, en particulier, à l’étude des arts plastiques et des
métiers d’art en Tunisie à travers une série d’articles et notamment une
monographie sur A. Ben Raïs, artiste précurseur tunisien.
Khaled Lasram est aujourd’hui parmi
nos peintres les plus appréciés dans les sphères artistiques. Depuis sa
première participation à l’« Exposition jeune peinture » groupant de
jeunes artistes de l’ITAAU (XIIè festival international, Amphithéâtre de
Carthage, juillet 1975), il se manifesta d’une manière continuelle dans
diverses expositions annuelles et collectives et organisa quatre expositions
personnelles :
- « Symphonie
bleue » ; Galerie Médina (1990)
- « Kaléidoscope » ; Espace
Sophonisbe (1993)
- « Eclats de
signes » ; Diwan Dar El Jeld (2007)
- « Rythmes et
Vibrations » ; Galerie Kalysté (2009).
Couple de pigeons, 1985, ast (81x75)
La peinture de Kh. Lasram recèle un monde secret plein
d’émerveillement et de magie. Tout un répertoire de formes stylisées,
géométrisées, voire abstraites surgissent de l’inconscient créateur de
l’artiste pour reconstituer un univers singulier et sublime au-delà de ce que notre raison peut
saisir.
Dans un
agencement de couleurs riches et variées, scandées par les contrastes les plus
forts ou des effets de tons fondus et légèrement nuancés, le peintre sonde à
fond le problème de l’espace. Il réussit à atteindre un équilibre de pureté et
de maîtrise qui confèrent à ses compositions toute leur originalité.
Signes et symboles, 1986, ast (50x40)
Les mains de Fatma, 1987, ast (130x80)
Médina, 1987, ast (50x40)
Signes sur fond vert, 1988,
asp (47x31)
Signes magiques, 1989, asp (40x24)
« Symphonie
Bleue », Galerie Médina, Tunis (23 mars-22 avril 1990)
« Il
semble que tout art commence par la lutte contre le chaos, par l’abstrait ou le
divin, jamais par la représentation de l’individuel…Tout réalisme est une
rectification. »
Abstrait,
réalisme, rectification, et même individuel, autant de clés (parmi d’autres
bien sûr) pour entrer dans le monde rêvé-peint et peint-rêvé de Khaled Lasram.
Au commencement, comme dans toute genèse, le réel. Appréhendé à même
« l’objet », saisi à bras la toile. Interprété,
« ordonné ». Consciemment ? Inconsciemment ? (Ambiguïté de l’acte créateur) selon une
nécessité qui échappe (échappera toujours) à ceux pour qui toute lecture de
toute sorte est affaire d’anecdote, excluant l’étrangeté, le bizarre, (ô
Baudelaire !) inhérents. Que de traces pourtant dans ces tableaux !
Des traces qu’il suffit de suivre (invitation à l’errance, au voyage) pour se
retrouver et se perdre dans un univers (des univers), une culture (des
cultures) familiers. Se retrouver et se perdre, seuls moyens (ô
patrimoine ! ô patrimoines !) de vivre au souffle de l’œuvre, de
s’accorder au rythme de l’artiste. Multiples « tempos » qui
transcendent l’anecdote (toujours elle) présente, même « gommée »,
souterraine, pour tisser une (des) mosaïque (s) de formes et de couleurs,
source (s) d’allitérations, d’associations ouvertes…Symphonie Bleue certes
parce que l’artiste le veut et nécessaire le titre. Mais là aussi le bleu n’est
pas couleur concrète, réelle m ais symbolique, mentale. Semblable au
bleu-orange de la terre éluardienne. Ainsi s’accomplissent les correspondances
et s’unissent peinture, musique et poésie. Le grand rêve, quoi !
Sophie El Goulli (texte de présentation à l’exposition, mars 1990)
Exubérance, 1990, asp (50x34)
"La force du pouvoir créateur ne peut
être nommée. Elle reste en fin de compte pleine de mystère. Car n’est pas
mystère ce qui ne nous touche pas au plus profond de nous -même."
Paul Klee
Le rêve défait notre
« réel » sous l’effet d’autres découpages, d’autres syntaxes.
Bousculant les lois physiques, déplaçant les règles de la topologie, il nous
fait découvrir un monde inouï. Il nous fait descendre dans l’intraduisible, en
nous faisant éprouver la secousse sans jamais l’amortir. C’est que le rêve
accueille et satisfait mieux que la réalité de chaque jour notre besoin
d’extraordinaire, notre soif de merveille. Comme la recherche du passé, cette
évasion dans le rêve ou la rêverie nous est inspirée par la nostalgie d’un
paradis perdu que seul l’art peut nous rendre et nous faire retrouver.
Tout créateur
déforme donc le « réel », le transpose, le détruit pour le
réinventer. Il ne copie pas, il n’imite pas, mais il recrée de toute pièce un
univers parfaitement composé et mis en couleurs. Et l’on pénètre cet univers
dans lequel on peut rêver, on peut prier, éprouvant l’émotion la plus noble,
dans des lieux inconnus, nouveaux, dont les qualités vont au-delà de toute
matérialité.
Il
suffirait, pour nous en convaincre, d’admirer la palette de Khaled Lasram qui
expose pour la première fois à la Galerie Médina des œuvres dans lesquelles
nous découvrons les secrets d’un monde intimiste plein d’effusion et de magie.
Sur le
support en toile ou en papier se détachent ici et là quelques figures réduites
à leur plus simple expression. Sans pour autant se séparer du fond, elles
s’inscrivent en graffitis sur une surface toute profonde de suggestions
colorées. Dessinées au pinceau, le tracé noir met en valeur leur géométrisme
ingénu, enrichissant par sa liaison à la couleur et à la matière une certaine
expression picturale au profit d’un espace polychrome et travaillé.
L’artiste
nous fait quitter la toile ou le papier, pour dialoguer avec l’histoire
millénaire de la Tunisie. Il porte notre attention sur une multitude de signes
qui s’unissent pour évoquer un monde symbolique. (Si l’on se réfère à certaines
croyances populaires, le poisson ou l’œil, chargés de significations profondes,
deviennent des signes prophylactiques contre le mauvais œil ; on les
rencontre sur les portes de certains villages du sud où cette tradition
subsiste encore). Recréés dans un cosmos où l’ordre plastique règne, ces mêmes
signes constituent, dans la peinture de Kh. Lasram, plus des concepts que des
représentations concrètes. Ils atteignent un degré d’abstraction
supérieur ; ils deviennent simple trait pour se muer en œil, poisson,
peigne, Tanit, croissant...
Ce qui
attire l’attention du spectateur, c’est l’agencement de ces symboles dans une
harmonie dont la logique est propre aux œuvres elles-mêmes. Il s’y dégage un
certain chaos qui maintient la rigueur de leur organisation spatiale et
spectaculaire. Certaines brisures, des lignes en croix et de petits cercles
s’unissent pour affirmer le caractère hiéroglyphique dicté par l’alignement des
plantes et des animaux désertiques (gazelle, dromadaire, scorpion, palmier).
Mais ici
les couleurs, si elles gardent une valeur autonome, soulignent cependant
l’effet contrasté de la nature africaine : les bleus profonds nous
renvoient aux frais rivages de la Méditerranée (« Raouad »,
« Gammarth », « Salammbô », « Carthage »,
« Hammamet », « Zarsis ») ; l’ocre et le jaune d’or se
prêtent à la couleur de la terre saharienne et poussiéreuse (d’où les noms
poétiques et évocatoirs de certaines œuvres : « Ach’ar »
(couleur du désert, « Aghbar » (couleur de poussière),
« A’far » (terre cuite)).
La
traversée de ces espaces arides (« Lieu brûlant), « Configurations
désertiques », « Ecoulement de sable », « Husûme »
(ouragan », nous fait arrêter à l’ombrage d’une oasis enchantée et
fertile aux confins d’un univers irrationnel mais accessible à tous nos
sens : « Firdaws » (paradis), « Floraisons colorées »,
« Adlas » (terre verdoyante) … C’est ainsi que l’artiste crée cette
ambiance envoûtante et féérique, où les lignes pures et les couleurs aux
contours dégradés s’unissent pour donner une impression magique.
Mais à tout
cela peut s’ajouter une atmosphère de symphonie et de musique, telle que le
titre de l’exposition « Symphonie bleue » nous le suggère. Kh. Lasram
a peut-être songé à des mélodies musicales, là où l’harmonie colorée peut
devenir résonance rythmique et où la représentation graphique contribue à nous
emporter vers un monde lointain
Wacef,
« Le Temps » (23 mars 1990)
Groupe de personnages, 1990
La
poésie de la synthèse
Khaled
Lasram est le peintre de la trace. Dans son exploration des compositions de
notre patrimoine, Khaled Lasram cherche moins un modèle qu’un module où se
condense, d’une manière indélébile, l’inscription de notre identité. Dans ce
sens, l’exposition que nous propose cette semaine la Galerie Médina est une
randonnée à travers les signes qui ont formé, tout au long de notre histoire,
l’univers mental et symbolique de l’homme berbère, phénicien, arabe et
tunisien. C’est donc la rencontre entre ces différents signes qui ont formé,
aux yeux du peintre, la véritable symphonie et la poésie de l’osmose et de
l’harmonie.
Khaled Lasram a réussi le tour de
force de réaliser, à travers son exposition, une surprenante synthèse entre des
éléments appréhendés jusqu’ici comme étant disparates, hétérogènes, voire
antithétiques.
Le plasticien relit donc l’histoire
et la recompose comme un grand jeu de puzzle où l’espace mental se déploie
comme un langage tour à tour réaliste, métaphorique, poétique…
Là, les objets sont hiéroglyphes
d’une écriture particulière où le signifiant déloge sans cesse le signifié de
sa codification convenue ou conventionnelle. Les motifs traditionnels, poisson,
main, œil sont en contiguïté avec Tanit ou Salammbô, d’autres motifs
traditionnels, d’une époque plus ancienne. Il s’agit là de reprendre les
symboles, de les multiplier indéfiniment selon le schéma d’enchâssement de
configuration prolifiques ou de jeu d’écho. Le résultat : Khaled Lasram
nous explique par le biais d’un détour original que le Tourâth (le patrimoine) est
essentiellement, comme nous l’a montré la sémiologie moderne, un réseau de
signes et une production de symboles.
Ce langage est à la fois
peinture, écriture, musique, représentation réaliste et abstraite, explorant le
mental et le paysage de sa configuration concrète. « Ainsi, comme l’a noté
Sophie El Goulli dans le texte de présentation à cette exposition,
s’accomplissent les correspondances et s’unissent peinture, musique, poésie. Le
grand rêve.
Kamel Ben Ouanès*, Le Temps (27 mars
1990)
*(Kamel Ben Ouanès, cinéphile, ancien président de
l’Association tunisienne pour la promotion de la critique cinématographique,
auteur de plusieurs articles notamment sur le cinéma).
Les
signes anciens vivent en nous
Professeur
à l’ITAAUT (Histoire de l’Art), travaillant sur le patrimoine (groupe de
recherche à Beit-El-Hikma), auteur de diverses communications et études dans ce
sens, Khaled Lasram pratiquait aussi (…) La qualité de ce qui est donné à voir
dans cette (première) exposition personnelle ne laisse aucun doute : nous
avons là un artiste plasticien, un « chercheur » en art, un créateur
véritable. Rendre compte de cet « événement » au sens étymologique du
terme, exigerait une analyse approfondie qui dépasse l’habituel papier sur une
exposition et qui prenne en considération et les richesses formelles,
plastiques indéniables et les apports nouveaux au plan de l’utilisation de
signes puisés dans le patrimoine (les patrimoines) et revus, et repensés
plastiquement. Ce que seule une revue spécialisée peut se permettre.
-Les « retombées » de vos
recherches sur le patrimoine, les patrimoines, sont visibles dans vos tableaux.
Est-ce volontaire ?
-Au début, ce fut inconscient puis
prenant conscience de cela, j’ai systématisé, reprenant les multiples signes
qui émaillent nos patrimoines (signes de Tanit, poisson, œil, croissant…) A
voir l’utilisation qu’on continue à en faire en les reproduisant tels quels ou
en les symbolisant, il faut se rendre à l’évidence, ces signes loin d’être morts,
vivent en nous et pour nous.
Tiré
des propos recueillis par Sophie El Goulli ; Le Temps, (avril 1990)
Margûm, 1991, asp (60x45)
Sur fond bleu, 1992, asp (53x37)
Formes organiques I, 1992, asp (30x21)
Exposition
Kaléidoscope ; Espace Sophonisbe, Carthage (26 mars-10 avril)
On accuse notre société d’être frappée de torpeur, de
condamner chacun à la solitude et de n’être qu’une course aveugle vers une
destinée inimaginable. Et pourtant, on n’aura jamais inventé autant de supports
à paroles, de lieux d’échanges, d’espaces communautaires. Même les arts
plastiques sont des objets de langage. Ils ne sont parfois que cela. Ne
cherchez pas, alors, l’image ayant atteint sa perfection, mais suivez le cours
de la création dont ils sont, devant nos yeux candides, la démonstration. Oui,
notre candeur est indispensable. Sans elle, le courant ne passera pas. L’espace
Sophonisbe, largement ouvert, est un espace où la matière modelée par la main
de l’artiste trouve sa dimension culturelle, une vie durable propre à défier le
temps, quand l’usage aveugle de ceux qui ne cherchent pas à rêver sur elle la
maintient dans sa condition de magma informe.
Vivifier la matière. En d’autres temps, on aurait dit : lui donner
une âme. La rencontre d’un concept et d’une couleur est le plus souvent un bel
événement. Peindre pour Bacon, c’est rendre possible un surgissement des
figures hors de toute figuration. C’est pourquoi il sort si bien, et avec une
telle énergie, de la pesante alternative : peinture abstraite ou figurative.
Prenez
les thèmes évoqués dans la peinture de Khaled Lasram, jeune peintre inaugurant
sa deuxième exposition personnelle, représentatif d’une nouvelle palette,
recherchant plutôt une écriture propre à répondre à son attente de la matière
face aux préoccupations esthétiques de notre moment civilisationnel.
L’intention est touchante quand Khaled Lasram affirme par exemple qu’il
travaille comme le maçon, le forgeron, le charpentier ou le bûcheron. La
rusticité est au programme. Qu’est-ce qui distingue un tel artiste de l’artisan
qu’il évoque, sinon la finalité de l’ouvrage, et sa signification ? Pour
l’artisan, l’utile. Mais ne croyez pas que ça sera l’agréable pour l’autre. On
ne vit plus sur cette dialectique simpliste.
Khaled Lasram pose dans l’espace des
signes et des figures qui ont cette saine rusticité que l’on aime dans les
vestiges du passé, polis par l’âge, ce temps qui passe en laissant son écho.
La
parlerie commence au sein de cet espace, quand l’œuvre posée d’évidence dans
son site naturel est sanctifiée par les édiles de la culture. Le commentaire
ira bon train. A commencer par celui-ci, qui est modeste. Simple murmure au
bord de l’arène où se joue le destin d’une œuvre enracinée dans le terroir,
dans la terre : cette grande écritoire de l’homme, qui y cherche encore sa
raison d’être. Et des signes cachés.
Fethi Chargui (journaliste culturel) Tunis 1993
Les regardeurs, 1993, asp (46x38)
Le
gymkhana du regard
La
ligne tremble, mais elle avance sur la surface ; elle fait son chemin.
Elle fait son dessin. Elle balise un espace où il fait bon s’arrêter. Ce sont
des visions comme on en imagine en attendant le sommeil. Qu’il sait fixer,
arrêter, sans les figer, ni les durcir. Elles sont là, hésitantes dirait-on, et
pourtant d’une parfaite lisibilité jusque dans le détail qui est charmant. Rêve
de ville de voyages. On est en pleine géographique d’évasion. Un délice.
Cadences larges, sobres, tensions,
aplats puissants, Khaled Lasram travaille dans l’ample, la qualité, le
monumental. Une centaine de tableaux figure sur les cimaises de l’espace
Sophonisbe. Au-delà de tout discours théorique, qui voudrait justifier une
telle démarche, il suffit de « regarder », sans intention, sans autre
ambition que le plaisir de l’œil, ces compositions qui perpétuent la tradition
d’une abstraction faisant la synthèse de l’élan et de la réflexion du construit
et de l’instinctif.
Bref, Khaled Lasram n’a jamais
représenté le réel que pour figurer le mental. Il faut que le regard construise
son propre gymkhana entre l’ambiguïté de tous les plans, de tous les points de
vue qui font tanguer la réalité environnante (…)
Khaled Lasram a su donner de la
sveltesse à un propos monumental, coordonner la masse épurée dans son dessin,
son cheminement et une animation alvéolée, un jeu de saillies, de pleins et de
vides, de formes géométriques, de lignes et de courbes qui l’allègent, la
dynamisent. Il assemble, découpe, « écrit » dans l’espace des figures
et des signes, de puissants « totems » qui redéfinissent le dit et le
non-dit.
De la diversité des visions que
peut offrir un peintre qui ne s’enferme pas dans un système. On l’avait
rencontré en 1990 à la galerie Médina, lors de sa première exposition
personnelle. On le retrouve à l’espace Sophonisbe, deux ans plus tard, seul
(comme toujours), de sa seule nature le confident, de sa seule émotion le
témoin, il regarde le monde, non selon les critères d’une objectivité en passe
de devenir un critère de qualité, mais dans une espèce de fixité hallucinée.
Même un paysage regagne à être une structure d’abstraction.
La permanence, la fidélité à ses
thèmes font, de l’œuvre de Khaled Lasram, un lieu clos, un champ de forces et
de tensions qui échappe aux références du visible, du donné à voir dans la vie
quotidienne, de la réalité ordinaire, dont on ne peut même pas dire qu’elle
passe dans la peinture de Lasram à travers le crible d’un regard. Le peintre
invente son monde, le cadence, le développe avec une alternance de douceur et
de force, des tempos qui sont la vibration de ce grand corps pictural. Une
sorte de respiration qu’il faut pour aimer percevoir comme le miroir de la
sienne. Sans cela l’œuvre reste lettre morte. C’est le risque d’une peinture
qui ne s’appuie sur rien d’autre qu’elle-même. Mais quand ça fonctionne, c’est
l’enchantement. Comme le poète sait, dans une flaque d’eau, découvrir tout
l’univers, Lasram, en quelques techniques et matériaux (tout y passe, peinture,
acrylique, crayons de couleur…), fait surgir des villages, des minarets, des
paysages… Sur la colline, à l’aube, les arbres déchirent lentement leurs
parures de brume et de nacre. La lune brille encore comme l’ongle finement
peint d’une coquette qui passerait sa vie à sa toilette. Avec la fraîcheur et
l’immédiateté d’un dessin d’enfant, en quelques coups de pinceau ou de crayon,
en quelques formes simples qui ne sont pas sans évoquer un grand
magicien : Paul Klee, Lasram nous entraîne, comme en se jouant, dans un
monde où partout flottent les oriflammes de la fête.
On y dense les retrouvailles de la
terre, de la mer et de la lumière ; rares et précieux.
Fethi
Chargui, Le Temps (3 avril 1993)
Sidi Daoud, 1993, ast (73x60)
Présence
des arts, Khaled Lasram à l’Espace Sophonisbe
Entre
formel et informes : une délectation pour les yeux
C’est
la deuxième fois, en l’espace de trois ans, que Khaled Lasram, peintre,
enseignant à l’Institut d’Art, d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis, présente
une exposition individuelle. Sa première exposition, en 1990, était intitulée
« Symphonie bleue » et avait compris en majeure partie des peintures
à l’huile sur toile. Celle qu’il présente aujourd’hui groupe, sous le titre assez
recherché de « Kaléidoscope », quelques 90 tableaux, en général de
petits formats, exécutés sur papier.
Cette technique, quoique
nécessitant une grande maîtrise dans l’art de peindre, a permis une expression
plus spontanée et plus intuitive. Au procédé constructif architectural qui
caractérisait les toiles de l’exposition précédente, est substitué ici un style
nettement plus souple et plus libre.
Les thèmes traités sont des plus
divers : paysages, marins notamment, portraits, scènes de genre, signes et
symboles… tous rendus avec beaucoup de lyrisme et une grande transparence
chromatique, qui font de Khaled Lasram un magicien de la couleur. Il ne faut
pas cependant chercher dans toutes ces peintures, une représentation exacte de
la réalité : Khaled Lasram interprète tout ce qu’il représente, il
dépouille la réalité de sa consistance matérielle : on sent, à travers ses
œuvres, comme une hésitation entre le formel et l’informe, la figuration et
l’abstraction, le reconnaissable et le no-reconnaissable. Dans la plupart de
ses tableaux, on reconnaît comme des notations auxquelles les éléments
empruntés au réel servent seulement de prétexte : il serait plus juste de
parler à propos de la peinture de Khaled Lasram d’un langage plastique, qui possède
une grande force de suggestion.
Peut-être est-ce là une influence
de la tendance à l’« aniconisme » de l’art de l’Islam ?
Mais l’exposition de Khaled Lasram
est surtout une fête de la couleur où s’opposent des teintes froides et chaudes
violemment contrastées, auxquelles les épanchements lumineux confèrent un
singulier éclats.
En somme, c’est là une
exposition d’un peintre authentique, profondément ancré dans sa culture et dont
les œuvres constituent une véritable délectation pour les yeux.
Mohamed
Yacoub*, La Presse (6 avril 1993)
*(Mohamed Yacoub
(1937-2015) ; historien de l’art, un des pionniers de l’archéologie
tunisienne, directeur des musées nationaux de Tunisie (1965-1968), conservateur
en chef des musées, auteur de plusieurs guides et ouvrages traitant des
collections de mosaïques et de pièces archéologiques)
Couple de danseurs, 1994,
ast (46x37)
Lumières de la médina, 1995, ascp, (120x46
Souvenir de Chénini, 1995, ascp (145x80)
Animaux aquatiques, 1999, ast (220x92)
Oasis, 2000, ast (89x72)
Zoomorphes, 2004, ast (92x71)
Bonhomme, arbre et soleil, 2004, asp (49x34)
Médina-Impressions, 2004, ast (93x74)
Soir de lune, 2006, asp (51x37)
Eclats
de Signes ; Diwan Dar El Jeld, Tunis (25 mai-10 juin 2007)
Lasram entre figuratif et abstraction
Une exposition de peinture de Khaled
Lasram se poursuivra tout le mois de juin. Bien que participant régulièrement
aux manifestations artistiques de groupe, la dernière exposition individuelle
de l’artiste remonte déjà à quatorze ans. Elle fut organisée en 1993 à l’espace
Sophonisbe, précédée d’une première à la galerie Médina en 1990.
- Vous vous
êtes enfin décidé à monter votre troisième exposition personnelle, répondant
ainsi à un désir pressant de la part de vos amis. Comment expliquez-vous la
rareté d’un tel fait ?
- Je crois
qu’une exposition dans laquelle un artiste réunit un nombre important de ses
productions ne devrait pas avoir uniquement pour but la vente de ces
productions et se réduire ainsi à une simple opération lucrative. Bien plus,
elle doit constituer en elle-même un temps d’arrêt afin de permettre à
l’artiste de dresser un bilan de tout ce qu’il a pu réaliser pendant une
période assez longue. Une vue d’ensemble de toutes ces réalisations permet de
saisir une démarche et de déceler les symptômes d’une certaine évolution. Cette
évolution ne doit pas être quantitative mais qualitative. L’accession à un
degré de maturation de la part de l’artiste n’est pas due en fait à une accumulation
mais surtout à une métamorphose, à une remise en question profonde et durable.
Lorsque s’opère, dans l’esprit de l’artiste, cette condensation, le moment sera
venu de monter à soi-même et au public, la progression d’une recherche. Je
crois que tout ce temps de pause, aussi durable soit-il, m’a été nécessaire
afin d’acquérir suffisamment une certaine performance, de tracer un cheminement
et de mûrir un projet. A ce propos, Gide disait : « Que m’importent
les dons, chez qui ne sait pas mûrir ».
- Le titre
de votre exposition « Eclats de signes » demeure, nous semble-t-il,
pour certains assez imprécis. Pourquoi ce titre ?
-
« Eclats de signes » est un jeu de mots dont la signification me
paraît assez conforme à l’esprit des œuvres exposées. « Eclats »
comporte à la fois le sens de quelque chose qui éclate, qui se brise en
projetant des morceaux ; il y a de cela dans mes compositions. A travers
elles, on perçoit un éparpillement d’éléments qui animent l’espace pictural, un
espace sensible et ouvert mais en même temps, dans une fragmentation cubiste
des formes et un échelonnement des plans, quelque chose de stable assure une
certaine homogénéité et un certain équilibre. « Eclats », c’est aussi
intensité de lumière, vivacité et fraîcheur des couleurs. Toutes les traces
graphiques, ces signes marqués d’un fin trait, ces formes entremêlées, se
fondent dans la matière picturale rehaussées par la vigueur des coloris et les
effets nuancés de la lumière.
- Tous ces
signes, ces symboles qui structurent vos compositions sont largement inspirés
du patrimoine local. Votre démarche plastique se définit-elle dans une sorte de
synthèse entre le passé et le présent, le traditionnel et le moderne ?
- Dans
toutes les circonstances de la vie actuelle, le lointain passé laisse des
traces. Les vestiges de notre riche histoire sont là qui m’ont servi de motifs
d’inspiration. Des poteries berbères et des stèles puniques jusqu’aux tapis de
kilim confectionnés par nos anciennes tisseuses, tout un répertoire de signes
et de symboles, ressuscités dans ma pratique picturale, l’enrichissent d’une
écriture graphique plus vivante et plus expressive.
D’ailleurs, l’assimilation progressive d’un langage artistique moderne
suscite en nous une double réaction : d’un côté le désir de se relier plus
étroitement à la culture occidentale, à laquelle nous rattachent des liens
historiques et géographiques, d’autre part, le souci de conserver les
traditions qui fond notre originalité, qui fondent nos valeurs propres, notre
manière de vivre et de voir.
Cet effort
pour concilier la fidélité au passé avec la volonté de participer à une
certaine modernité est aujourd’hui un phénomène presque universel que l’on
retrouve tout aussi bien chez les peuples les plus avancés économiquement. A
cet attachement à notre passé vient s’ajouter l’attente d’un avenir plein de
promesses.
- Une
citation de Malraux résume, dites-vous, votre pensée et la nature de votre
style : « …la recherche de qualité que tout art porte en lui, le
pousse bien plus à styliser les formes qu’à se soumettre à elle. »
- A cette
question que pose encore Malraux : « Qu’est-ce que
l’art ? », nous sommes portés à répondre : « ce par quoi
les formes deviennent style ». En effet, l’artiste représente la nature
non pas telle qu’elle est mais telle qu’il la sent, telle qu’il la perçoit et
la conçoit. Il recourt à des modes conventionnels de représentation en fonction
d’une certaine interprétation du monde extérieur. Tout créateur transpose,
exprime à sa manière, innove à son tour.
Réinventant
le langage pictural, les artistes du XXème siècle ont évolué vers une
désarticulation de l’espace scénographique traditionnel et une nouvelle mise en
ordre des sensations s’est imposée. Kandinsky, Klee, Bissière, Matisse, Miro’,
Henri Michaux, pour ne citer que quelques-uns, nous ont restitué un univers du
regard réduit à quelques signes chargés d’émotion. Ils ont cherché à remonter
aux origines, en s’inspirant des arts « primitifs » et des dessins
d’enfants. La simplicité de leur tracé, la stylisation de leur dessin poussées
jusqu’au schématisme expressif représentent une recherche de complexité, un
effort vers une plus grande richesse de signification.
-Quelle a été la réaction du public
face à vos œuvres ?
-Certains
« initiés », appartenant le plus souvent au monde de l’art et de la
culture, apprécient avec sincérité et de bon sens mes productions. D’autres,
parmi le public, ne savent pas ce que mes œuvres veulent dire. Le message les
atteint mal, mais ils sentent quelque part que cela est
« émouvant » ; la beauté les touche droit. D’autres encore, plus
rébarbatifs, plus obstinés, les plus nombreux sans doute, préfèrent une
peinture plus « convaincante », plus « fiable », plus
« réaliste » et où le sujet doit demeurer la référence essentielle.
Mais ne confondons pas le grand débat abstraction-figuration,
non-figuration-réalisme ; il y a des bons et des mauvais partout.
(Propos recueillis par H. H. ; La Presse, 5 juin 2007)
Bonhomme, oiseau, palmier, 2007, asp (65x50)
Les yeux, 2007, asp (65x50)
Eclats
des signes et des paysages
Khaled
Lasram est un passionné des signes, des compositions et des paysages. Il invite
à découvrir ces techniques à travers une exposition qu’abrite actuellement le
Diwan Dar El Jeld et qui s’intitule « Eclats de signes ».
L’exposition de Khaled Lasram a la
particularité de proposer des œuvres où l’on trouve un mariage réussi entre des
techniques des plus rares. Et artiste a en effet travaillé sur une combinaison
de différents éléments dans une bonne vingtaine d’œuvres. Il a effectué
constructions qu’il a tenté d’agencer entre elles avec une certaine ingéniosité
et une démarche picturale qui lui sont spécifiques. Tantôt, ce sont les lumières
de la Médina qui sont immortalisées dans ses toiles de petit format, tantôt il
a mis en exergue, à travers ses tableaux de grand format, des configurations
désertiques qui donnent au visiteur l’envie de découvrir cette vaste étendue.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule agréable facette des œuvres de Khaled Lasram.
En les contemplant de très près, d’autres formes se révèlent, comme si
l’artiste voulait inviter les fans de la peinture à visiter les mystères du
désert. Ce mystère, il a tenté de le faire décrypter à travers des œuvres comme
« Personnage dans une palmeraie », « Paysage »,
« Terre en friche », entre autres. Mais le peintre tunisien ne s’est
pas contenté uniquement de mettre en valeur les paysages désertiques, il a consacré
certains de ses tableaux à d’autres thèmes éloquents et percutants et qui font
l’objet de sources d’inspiration chez de nombreux peintres impressionnistes.
« Oiseau de feu », « Formes pliées », « Vue
lunaire », « Méditerranée », « Margum I et II » sont
autant de sujets abordés par Khaled Lasram dans une douzaine d’autres œuvres
qui témoignent de la diversité et de la mixité de sa démarche. Et ce n’est pas
tout. Des œuvres ont été également consacrées aux impressions tunisiennes, dans
leur particularité comme dans leur diversité. S’agissant des techniques,
l’artiste privilégie, en plus de l’impressionnisme, l’acrylique en plus des
pastels. Mais dans le choix des couleurs, il n’entend pas donner une priorité à
telle ou telle couleur. Il a combiné, la plupart du temps, des couleurs chaudes
et froides. C’est d’ailleurs cette façon de procéder qui fait la particularité
de sa peinture qui revêt d’autre part un caractère authentique et nostalgique à
la fois.
Ousmane
Wague, Le Quotidien (13 juillet 2007, p.15)
Composition aux petits cercles, 2008, ast (90x70)
Calligraphies et signes, 2008, asp (45x33)
Tanit, œil, poisson, 20018, ast (81x65)
Rythmes
et Vibrations ; Galerie Kalysté, Soukra (17-30 janvier)
Les récentes peintures de
Khaled Lasram, exposées actuellement à la Galerie Kalysté, nous dévoilent un
monde secret et exceptionnel, un monde chargé de couleurs
« vibrantes » rehaussées de traits complexes, hachurés, filiformes et
labyrinthiques.
Toute une constellation
d’idéogrammes, de signes et de symboles, répartis dans l’espace pictural,
renferment un sens qui se propose au déchiffrement et qui s’y dérobe en même
temps. En effet, ces peintures, défiant nos repères, se situent au-delà de ce
que peut saisir notre raison. Bien qu’elles soient en premier lieu basées sur
des rapports plastiques absolus, ces œuvres gardent cependant en elles-mêmes
une certaine évocation de la réalité. Les traces d’éléments plus ou moins
identifiables, à peine indiqués par quelques traits, nous renvoient pleinement
à travers leur écriture énigmatique, à la profusion de la vie, à l’ordre de
l’univers. L’artiste tient à dire qu’il peint l’harmonie du monde. Les toiles
qu’il nous propose chantent de tous leurs tons la beauté de la nature. Elles
reflètent le doux éclat des paysages tunisiens : l’obsession des bleus
évoque l’azur de la mer et du ciel méditerranéens, celle des ocres et du jaune
d’or, les étendues désertiques du sud. Leurs graphismes luxuriants nous
renvoient aux dessins de tapis, de kilim ou de margûm : signes, symboles,
pictogrammes, tout un ensemble de formes spécifiques, puisées dans notre passé,
tels ces toiles à cinq branches, ces croissants de lune, ces yeux et ces
poissons, donnant vie à la surface picturale avec un intense fourmillement.
Se livrant à des recherches
audacieuses de formes géométriques, l’artiste emprunte à l’esthétique orientale
le principe des combinaisons linéaires, des surfaces garnies intégralement et
divisées en registres. Sur des fonds miroitants, les compositions s’interfèrent
dans une multitude de variations « rythmiques », atteignant un point
culminant de limpidité et d’harmonie.
L’une des meilleures formules que
l’on pourrait prêter à la peinture de Khaled Lasram est celle que Roger
Bissière, un des peintres de l’Ecole de Paris, tant apprécié par notre artiste,
donne à la peinture : la peinture, écrit-il, est « une géométrie
vivante de formes et de couleurs, une sorte de géométrie nouvelle et plus
complexe où les couleurs et les formes seraient inséparables et réagiraient les
uns sur les autres, selon les lois où l’élément forme et l’élément couleur ne
formeraient qu’un tout ». Ce point de rencontre du tracé et du chromatique
en un tout homogène et cohérent se confirme de la manière la plus nette dans la
peinture de Khaled Lasram. Celui-ci résout le problème de l’antinomie apparente
entre construction et couleurs. Aux dessins tracés sur l’espace de la toile
correspond la couleur qui les exalte.
Nous rappelons que Khaled Lasram
n’en est pas à sa première manifestation. Parallèlement à des participations de
groupes, il en est à sa troisième exposition personnelle. S’affirmant dans un
style mûr et bien reconnu, l’artiste nous surprend chaque fois par un souffle
nouveau qui témoigne d’une approche créative intense.
Voilà donc une exposition bien
différente de ce qu’on a généralement coutume à voir ; une exposition très
originale, parce qu’elle offre une œuvre réfléchie et convaincante et qui
mérite le déplacement.
Wacef A., Le
Temps (29 janvier 2009)
Les masques, 2009, ast (120x81)
Sept figures, 2009, ast (81x65)
Le nombril, 2009, ast (81x65)
Les
mythologies de Khaled Lasram
Avec le
temps, les idées se clarifient et la peinture aussi. C’est Le règne de la
décantation, celui où la matière peinte, la représentation picturale se mettent
à transmettre un sentiment puissant plein d’allégories, de métaphores, de
symboles. Et c’est bien le cas de le dire à l’endroit des travaux que nous
présente, actuellement, Khaled Lasram, à la Galerie Kalysté, entre
« Rythmes et vibrations », l’intitulé de son exposition. Il s’agit
encore (à la base) de compositions géométriques mais qui ont fini par admettre
les liens traditionnels de la figuration : imbrication d’éléments de la
flore et de la faune, personnages qui donnent à ces travaux (acryliques sur
toile et gouaches sur papier) une fonction descriptive et indicative, mais
aussi ornementale. Et il y n’y a rien de contradictoire aussi à ce que Khaled
Lasram ait pu quitter (en apparence) les sentiers battus de l’abstraction
géométrique, comme à l’époque des polygones étoilés avec Larnaout et consorts,
du côté du Centre d’art vivant du Belvédère, pour exprimer enfin ce sentiment
puissant de participation à la vie.
Valeur émotionnelle de la couleur, dynamique du pinceau
Nous
reconnaissons un peintre à sa palette et, chez cet artiste, la couleur conserve
toute sa valeur émotionnelle, à travers ces diaprures et cet aspect diaphane,
comme dans ses travaux antérieurs. A la différence que le pinceau est ici plus
dynamique quand il s’agit des aspects figurés (dessins en relief), faisant
apparaître ainsi un monde plein de visions rythmiques et de vibrations
chromatiques. Oiseaux, Poissons, Jardin fleuri, Visage, Mains de Fatma, Natures
mortes, Médina, Fête foraine… sont autant de titres éloquents qui nous ramènent
à ces forces vives de l’éros (contre le thanos), à la participation de la vie
donc et à ce retour aux choses du patrimoine, les us et coutumes,
l’architecture des lieux, la tunisianité, l’africanité… Bref, tant de
mythologies réinventées pour le plaisir du regard, loin de ces anxiétés de la
vie brutale.
Des
émotions érigées en symboles et que nous partageons aisément avec l’artiste.
Bady Ben Naceur, La Presse (11 février 2009)
Champs de
blé, 2010, asp (40x30)
Homme à la
colombe, 2010, ast (100x100)
La ville
rouge, 2010, ast (108x80)
La ville
bleue, 2010, ast (107x87)
Palmeraie,
2010, ast (108x88)
Stèle
punique, 2010, asp (56x40
Hymne à la terre africaine (rencontre avec l’artiste)
Les peintures de Khaled Lasram se démarquent par leur cachet particulier.
Nous les reconnaissons d’emblée grâce à leurs compositions foisonnantes, au
miroitement de leurs prismes polychromes et à la variété de leurs thèmes.
L’artiste
nous a accueilli dans son atelier ; un lieu calme et de recueillement, un
refuge de la création. Il a travaillé durant cette dernière année sur un nombre
important de toiles et de travaux sur papier, faisant preuve d’un patient
labeur et d’un esprit innovent. A travers ses tableaux se profile une nouvelle
orientation, tant au niveau technique que thématique.
Un ensemble
de toiles rangées soigneusement dans un coin de l’atelier, scintillant de
lumière et de couleurs, sont dominées tantôt par des formes architecturales
(minarets, coupoles, arcs cintrés, pans de mur…), tantôt par des figures
géométriques et désarticulées évoquant des personnages, des animaux ou des
plantes, tantôt par des formes réduites à de simples schémas tracés d’un trait
épuré. Une multitude d’éléments composites, association de motifs figuratifs et
de formes abstraites, imbriqués les uns aux autres, évoluent dans un espace
décomposé, éclatant en fragments, mais résolument équilibré et harmonieusement
construit. Car c’est là que réside le savoir-faire de l’artiste :
« Tout est affaire, nous confie-t-il, d’agencement dans les détails, de
distribution équitable des masses, d’une bonne répartition des couleurs, en vue
d’assurer à l’ensemble du tableau une certaine solidité. Grâce à un jeu subtil
de lignes, de surfaces et de volumes, l’on doit parvenir à atteindre une
plénitude chromatique et formelle et à maintenir une parfaite cohérence. »
Il suffit à Khaled Lasram de
jalonner l’espace pictural de larges tracés, de le couvrir de stries et de
hachures, de juxtaposer des couleurs « inversées » pour faire jaillir
devant nos yeux un univers saisissant, féérique et irréel, défiant toute
vraisemblance avec le monde sensible, se générant suivant une logique
proprement plastique. Son œuvre est un véritable hymne rendu à la terre
africaine et à ses contrées desséchées, aux éblouissants et fertiles rivages
méditerranéens, à la vie pétulante et bigarrée de la Médina. Mais ces
impressions ne sont saisies qu’à travers un langage purement pictural,
dépouillé de sa fonction descriptive, sans aucun recours à l’anecdote ou à la
référence à un modèle.
Un trait fin marque les contours
qui séparent les plages de couleurs en aplat, les délimitant par des zones
claires et obscures. La profondeur de l’espace se perçoit ici dans la
superposition des formes et l’emploi des complémentaires. Plaçant un ocre à
côté d’un bleu, un rouge à côté d’un vert, l’artiste cherche ainsi à obtenir, à
l’exemple des maîtres fauves, une autonomie par contraste des couleurs,
mettant l’accent sur leur expressivité et leur dynamisme. Recourant aussi
aux acquis du Cubisme, tant au niveau de la structuration géométrique qu’au
niveau du traitement chromatique, il se rapproche, en un certain sens, des
œuvres « prismatiques » de R. Delaunay.
A la suite des deux dernières
expositions, organisées respectivement en 2007 et 2009, les travaux actuels
laissent entrevoir sensiblement un style accompli et très personnel. Toujours
ouvert à un nouvel enrichissement de son art, Khaled Lasram tente de se dégager
de la rigueur de ses œuvres cubisantes d’antan, faisant preuve de plus de
verve, s’exprimant surtout dans une manière plus assouplie dans laquelle la
régularité des lignes horizontales et verticales s’atténue par le maniement de
lignes plus flexibles, plus gracieuses. Opérant sur des qualités plastiques et
un souci de rendu pictural, les multiples signes et les motifs récurrents,
auxquels nous a habitués le peintre, cèdent la place à l’invention d’un nouvel
alphabet iconographique et à une plus variété de sujets : « Le couple
épié », « Ménagerie fantastique », « Parmi les algues
nagent les poissons », « La tornade » … Le déploiement de
couleurs moins intenses, plus tempérées, de teintes veloutées et plus nuancées
trahissent les prémices d’une étape nouvelle dans le processus artistique de
Khaled Lasram, étape qui se confirmera, d’une façon plus évidente, lors de sa
prochaine et prometteuse exposition.
Wacef A. ; Soukra (6 décembre 2010)
Le couple épié, 2010, asp (55x49)
Ménagerie fantastique, 2010, ast (100x100)
Parmi les algues nagent les poissons, 2010, ast (100x100)
La tornade, 2010, ast (100x100)
Sur
un fond chargé de couleurs, tantôt vives et contrastées, tantôt subtiles et
nuancées, se détachent quelques éléments empruntés à la nature, des détails
d’architecture, des signes et des symboles, réminiscences d’un passé lointain
et qui acquièrent, dans les œuvres peintes de Khaled Lasram, une nouvelle
résonance. Un monde profond et intime nous est dévoilé par l’artiste. Un monde
qui échappe à l’emprise de la réalité, celui du rêve et de l’enchantement…