L'IMAGERIE DE BRAHIM DHAHAK
Une intense expressivité
Né le 16 novembre 1931 au
village d’El Ksar, à proximité de Gafsa, Brahim
Dhahak perdit son père et sa mère alors qu’il avait à peine neuf ans.
Cependant, dès son jeune âge, il fut bercé par les contes populaires relatant
l’épopée hilalienne qui avait hanté son esprit de fabuleuses visions et nourri son
imagination. Appartenant lui-même à une famille descendante de la tribu des
Hilaliens, l’un de ses ancêtres, Ed-Dahhaâk, était le petit-fils
de Hilâl. C’est ainsi que le futur artiste s’attachera plus tard à glorifier
les légendes de « la sîra des Bénî Hilâl» (bédouins originaires du Hijâz
qui avaient migré vers l’Ifrykia aux Xè-XIè s).
Le jeune enfant fut aussi continûment attiré par les motifs stylisés et les couleurs chatoyantes des margoums (tapis
berbères) et des bakhnougs (châles traditionnels) que les femmes de son
entourage tissaient à longueur de journée. Il semble donc tout naturel qu’il hérite
de ce culte de la couleur pure et de ce goût de la simplification des formes. En plus, l’éclatante
féerie de la lumière du sud, la sublimité des vastes horizons et l’étendue
infinie du désert allaient aiguiser ses sensations et insuffler en lui un
constant souci de créativité.
A l’Ecole primaire de Ksar Gafsa, il manifesta
un talent précoce de coloriste et de dessinateur qui allait déterminer les circonstances
de sa vie d’artiste… On le verra donc à Tunis, en 1950, menant une vie de
bohème et fréquentant quelque peu l’Ecole des Beaux-Arts et le groupe de l’ « Ecole
de Tunis », fondée quelques années plus
tôt sous la présidence de Pierre Boucherle.
Aidé par le Consul d’Italie,
il obtint une bourse qui lui permit d’entrer à l’Accademia delle Belle Arti de
Rome où il passa quatre années, de 1957 à 1962. Il eut pour maîtres Amerigo Bartoli Natinguerra
(peintre, caricaturiste et écrivain) et le célèbre graveur Macari. Il s’y initia à la technique
de la peinture, des arts décoratifs (mosaïque et céramique) et notamment aux
procédés de la xylogravure. En 1961, il reçut
le prix Carlo Giviera.
De retour à Tunis, il renoua de nouveau le
contact avec le milieu artistique et se
lia d’amitié avec Hatim el-Mekki. Celui-ci apprécia
ses œuvres et l’incita à monter sa première exposition personnelle, suivie,
quelques mois plus tard, d’une autre en Suisse.
A l’exception d’un séjour à
Paris, durant l’année 1972, où il résida à la Cité internationale des Arts,
Brahim Dhahak ne quitta plus jamais son atelier installé, à partir de 1966,
dans une étroite ruelle du vieux village de Sidi Bou Saïd.
"Vue de Sidi Bou Saïd", hst, (45x35,5)
"Paysage à Sidi Bou Saïd", hs contre-plaqué, 61x50 cm, 1987
"Vue de Sidi Bou Saïd", hst, (45x35,5)
"Paysage à Sidi Bou Saïd", hs contre-plaqué, 61x50 cm, 1987
A côté de ses peintures à
l’huile, représentant des paysages désertiques, quelques vues de Sidi Bou Saïd
et notamment des scènes tirées de la vie familière, il composa deux grands panneaux de mosaïque destinés à la Maison de Culture de Béja et au port de La Goulette. Mais c’est dans la
gravure sur bois, sa technique de prédilection, que se révèle le plus sa dextérité, à travers laquelle se dégage une certaine sobriété, une force impétueuse et une intense expressivité.
Il réalisa ainsi toute une série de xylographies, qu’il classa
lui-même par thèmes, dans quatre albums in-folio : « La geste
hilalienne » (1976), « Les oiseaux de la Méditerranée »,
« Les chameaux », et « Les poissons de Tunisie ». Toutes
ces gravures, composées par des formes
simples en aplats et de fortes oppositions de couleurs, avec prédominance du
rouge, du jaune et du bleu, s’enchaînent en un rythme vigoureux et une
organisation puissante et solide.(1)
Se soustrayant aux mythes et aux légendes recensés dès son enfance, ses métamorphoses animales, végétales et humaines construisent un monde fabuleux et plein de mystère. N’obéissant qu’à son instinct et à ses propres impulsions, Brahim Dhahak y déploya, avec une certaine virtuosité, tout un système d’écriture : ses dessins, rendus à leurs éléments essentiels, se caractérisent par une certaine rigueur et une économie des moyens. Ses teintes, monochromes ou polychromes, déposées à l’encrage, jouent sur des contrastes éclatants et des violences qui donnent aux silhouettes des personnages, au ciel et à la terre une certaine densité. Ici, plus le trait domine la couleur, plus celle-ci a de résonance ; et l’on apprécie surtout ce goût de l’artiste pour les hachures et les éraflures, tracées en noir ou en blanc, avec énergie et souplesse, enveloppant et pénétrant toute chose, accentuant les plis en volutes des vêtements, marquant le plumage des oiseaux et les rameaux épineux des feuilles de palmiers.
Se soustrayant aux mythes et aux légendes recensés dès son enfance, ses métamorphoses animales, végétales et humaines construisent un monde fabuleux et plein de mystère. N’obéissant qu’à son instinct et à ses propres impulsions, Brahim Dhahak y déploya, avec une certaine virtuosité, tout un système d’écriture : ses dessins, rendus à leurs éléments essentiels, se caractérisent par une certaine rigueur et une économie des moyens. Ses teintes, monochromes ou polychromes, déposées à l’encrage, jouent sur des contrastes éclatants et des violences qui donnent aux silhouettes des personnages, au ciel et à la terre une certaine densité. Ici, plus le trait domine la couleur, plus celle-ci a de résonance ; et l’on apprécie surtout ce goût de l’artiste pour les hachures et les éraflures, tracées en noir ou en blanc, avec énergie et souplesse, enveloppant et pénétrant toute chose, accentuant les plis en volutes des vêtements, marquant le plumage des oiseaux et les rameaux épineux des feuilles de palmiers.
A la fin de sa carrière,
Brahim Dhahak remporta le grand prix de la Ville de Tunis (1991) et le prix
national des arts plastiques (1994). Il décéda le 28 janvier 2004…
Le meilleur
hommage que l’on puisse consacrer à notre cher disparu serait dans le fait de rassembler
toutes les traces matérielles laissées
après lui : ses matrices en bois et l’ensemble des instruments dont il se
servait (médium, pinceaux, encres typographiques, gouges, burins, raclettes, rouleaux et presses).
Tous
ces accessoires, témoins d’une vie consacrée entièrement à l’art, constituent aujourd’hui,
pour les chercheurs, de précieux documents. Ils permettent de ressusciter la démarche
de l’artiste, sa méthode de travail, de mieux appréhender son œuvre dans sa gestation et de deviner de quelle manière l’incidence de l’outil, l’ampleur du mouvement de son bras ou la
flexibilité de sa main ont imprégné sur
la matrice leurs traces indélébiles.
L’aménagement d’un futur petit musée à Sidi Bou Saïd, abritant une collection de ses productions, serait vivement
souhaitable.
" La geste hilalienne" (La Jezia, princesse héroïne qui avait mené sa tribu à la victoire, accompagnée de Abu-Zayd, chef guerrier des Hilaliens), xylographie, 50x40 cm, 1973
"Les poissons de Tunisie" (les pêcheurs de thon), xylographie, 50x40 cm
(1) "Les dix grandes odes arabes de l'Anté-Islam (les Mu'allaqat)", présentées et traduites de l'arabe par Jacques Berque. Cet ouvrage (édition Paris Sinbad, 1979), comporte des illustrations de gravures de Dahak.
Khaled Lasram 20 février 2004
"Les poissons de Tunisie" (les pêcheurs de thon), xylographie, 50x40 cm
(1) "Les dix grandes odes arabes de l'Anté-Islam (les Mu'allaqat)", présentées et traduites de l'arabe par Jacques Berque. Cet ouvrage (édition Paris Sinbad, 1979), comporte des illustrations de gravures de Dahak.
Khaled Lasram 20 février 2004