Centenaire du Salon Tunisien
(11 mai 1894 -11 mai 1994)
Par- delà l’idéologie qui a présidé à sa création, le Salon Tunisien qui fête aujourd'hui son centième anniversaire a eu un impact déterminant sur le développement des arts en Tunisie.
Salon Tunisien, Livret des exposants (Deuxième
exposition artistique de Tunis), 1895
On
ne saurait dédaigner le rôle important qu’a joué le Salon Tunisien dans le
développement de l’art moderne en Tunisie. En ce jour même, nous célébrons le
centenaire de sa fondation. Il y a juste un siècle, le 11 mai 1894, se
déroulait en présence de hautes personnalités du Protectorat, des amis des arts
et du public tunisois, l’inauguration de la première exposition de peinture.
Elle fut le prélude à des manifestations annuelles qui se tenaient à peu près
régulièrement chaque printemps. Créé sous l’égide de l‘ « Institut
de Carthage » -organe de propagande de la langue et de la culture
françaises-, le Salon s’insérait dans une large mesure dans une politique de
domination et d’assimilation culturelle. En vue de cela, la colonisation
entreprenait un travail systématique de dépréciation des arts du colonisé qui
ne correspondaient pas, sous toutes leurs formes, à ses propres canons
esthétiques. Ainsi, le Salon Tunisien s’assignait-il pour but d’éveiller chez
les « indigènes » le goût pour les « Beaux-Arts » et de
libérer de certains « poncifs » l’artisanat local, prétendant le
revaloriser par des méthodes et des modèles français !
Une partie de la grande salle, in "TI", n° 63, 1913, p. 5
.
Une autre partie de la grande salle, in "TI", n° 63, 1913, p. 5
Salon Tunisien, une vue d'ensemble, in "La Tunisie Illustrée", n°45, 1912, p. 14
Une partie de la grande salle, in "TI", n° 63, 1913, p. 5
.
Une autre partie de la grande salle, in "TI", n° 63, 1913, p. 5
Salon Tunisien 1914, La grande salle, in "TI", n° 84, p. 4
La grande salle, in "TI", 1914, p. 2
Une des grandes salles, in "TI", 1914, p. 7
Salle Antonin-Bréfort Porché au Salon Tunisien de 1914, in "TI", n° 84, p. 50
La salle des arts indigènes, in "TI", n° 84, 1914, p. 9
Un certain enrichissement
Salle Antonin-Bréfort Porché au Salon Tunisien de 1914, in "TI", n° 84, p. 50
La salle des arts indigènes, in "TI", n° 84, 1914, p. 9
Un certain enrichissement
Un siècle est
passé…et avec le recul du temps, l’histoire de la Tunisie coloniale dans son
ensemble revêt maintenant, pour nous, d’autres significations. Nous mettrons
dans notre regard plus de coloration et de nuance envers un passé qui, s’il fut
entaché de souffrances, d’oppression et de conflits, nous a malgré tout apporté
un certain enrichissement.
Le Salon Tunisien, en particulier,
comportait en lui-même des points positifs, des aspects qui ne manquent pas
aujourd’hui de se révéler opportuns. Créé sous le Protectorat pour le besoin de
la colonie, il ne tarda pas à accueillir les premiers essais de peintres
autochtones (Mosès Levy, M. Bismouth, J. Abdelwahab, Y. Turki, A. Ben RaÏs, A.
Farhat, A. Ben Salem, H. El Mekki…) qui formèrent dans ce siècle naissant
l’embryon d’une activité picturale qui n’a cessé, au fil des ans, de prendre de
l’ampleur. A présent, des expressions nouvellement implantées, comme la
peinture de chevalet et la sculpture sont définitivement entrées dans nos mœurs
et constituent un acquis pour notre patrimoine artistique. On ne pourrait, en
fait, envisager d’étudier leur origine et les conditions de leur évolution,
sans pour autant les placer dans le contexte des institutions qui, comme le
Salon ou l’Ecole des beaux-arts, ont été les principales sources de leur
formation.
Le Salon Tunisien recevait
principalement des envois de la Métropole ou des contrées voisines du Maghreb.
Une bonne part des exposants étaient recrutés parmi des européens installés ou
nés dans la Régence, dont quelques maîtres qui dirigeaient les ateliers du
Centre d’art du Dâr Ben Ayed (fréquenté par une pléiade de précurseurs
autochtones), devenu, en 1930, Ecole des beaux-arts.
L’esthétique que secrétait le Salon
donnait une place de choix au sujet et à l’anecdote, souvent au détriment d’une
élaboration formelle plus poussée. Il y avait ceux qui pratiquaient un
académisme désuet, imprégné encore d’Histoire et de Mythologie, des
orientalistes de carte postale, des peintres de pacotille (2), mais l’on reconnaît
aussi, au milieu de cet ensemble hétéroclite, des artistes doués qui avaient
l’approbation de la chronique d’art de l’époque : E. Pinchart, T. Rivière, Brifort-Porché, A. Delacroix, G.-L. Le Monnier, G. Delaplanche, A. Roubdzoff,
H. Jossot, R. d’Erlanger, P. Boucherle… pour rappeler, parmi une longue liste,
les noms de quelques-uns établis en Tunisie.
Salon Tunisien, 1912, au milieu A. Fichet (3)
A. Fichet entouré de personnalités officielles le jour du vernissage du Salon Tunisien de 1921, in "TI", 1er mai 1921.
Ensemble des œuvres de Pierre Gourdault (mort pour La France) exposé à titre posthume au Salon de 1920 (Photo Soler)
Une source documentaire
L’école coloniale
reflétait non seulement l’exotisme de la nature africaine, la vivacité de ses
couleurs, l’intensité de sa lumière, mais aussi l’étrangeté des mœurs et des
coutumes de ses habitants. Elle offre, de nos jours, pour l’historien et
l’anthropologue, une source documentaire intarissable. Le moment est donc venu
de la réhabiliter. Constituant en elle-même les signes avant-coureurs d’une
peinture nationale, la création d’un futur Musée d’Art Moderne, lieu propice
pour l’érudition, la conservation et la délectation des œuvres d’art, lui
assignera une certaine remise en valeur et la place prépondérante qu’elle
devrait occuper dans le panorama complet de l’aventure picturale en Tunisie. Le
moment est venu de dresser le bilan d’un lourd héritage que nous a légué la
période coloniale. Nous y avons déjà récolté les semences d’une nouvelle
appréciation esthétique. Le Salon Tunisien en compose un long chapitre dans
lequel s’est maintenue une activité artistique vieille de 90 années ! Sa
longue carrière a cessé tout récemment en 1984, au moment de la fermeture de la
Galerie Municipale, avenue de Carthage (ex Galerie Yahia). Il y a lieu, ici,
d’évoquer la mémoire de l’une des grandes figures de la culture tunisienne,
Alexandre Fichet (1881-1968), qui a dirigé le Salon un demi-siècle durant, de
1913 à la date de sa mort. Il nous paraît inéluctable de rassembler aujourd’hui
les vestiges de la peinture du Salon Tunisien, non seulement parce que sa
valeur sur le plan artistique connaît actuellement un certain regain d’intérêt,
mais parce qu’elle s’inscrit dans une page de notre histoire.
Salon Tunisien, 1950; au centre, Jules Lellouche, derrière lui, Abdelaziz Gorgi.
(1) Les livrets du Salon Tunisien sont aujourd'hui difficiles à trouver. Cependant, ils constituent un outil indispensable pour les chercheurs qui s'intéressent à l'histoire de la peinture moderne en Tunisie (notamment pour la période coloniale). Il serait donc utile de pouvoir les rassembler dans leur totalité et les classer suivant un ordre chronologique. A ma connaissance, seuls quelques particuliers en possèdent quelques uns (Galerie Hamadi Chérif, Sidi bou Saïd, Galerie Moncef Msakni, La Marsa). Personnellement, je dispose de quelques livrets ayant appartenu, au début du siècle dernier, à M'hammad Lasram, ancien "Directeur des plantations d'oliviers à la Direction de l'Agriculture", en sa qualité de commissaire adjoint à la Section industrielle (Salon 1896). Il s'agit des livrets relatifs aux années : 1895, 1896, 1897, 1907, 1911, 1912, 1913, 1914, 1920, 1921, 1922 + Exposition Jossot (Salon Tunisien 1912, Salle D). (J'ai fait don de ces documents, qui sont en ma possession, à la BNT, en les remettant à la directrice de cette honorable institution, Mme Raja Ben Slama, le 17 janvier 2019). (En outre,quelques numéros se trouvent également déposés à IBLA (Tunis) et une collection assez complète, datant de la période 1956-1970, est conservée à la médiathèque du musée Quai Branly (Paris)
(2) Concernant la littérature et l'art amenés par les écrivains et les peintres coloniaux, Albert Canal note dans son livre "La littérature et la presse tunisiennes de l'occupation à 1900" : "Nos anciens n'ont pas compris qu'ils coudoyaient un monde nouveau plein de richesses magnifiques, que pour chanter ce soleil aveuglant, ces rues pleines de gens bruyants et de choses éclatantes, il fallait des mots et des images à brûler l’œil et à crever le tympan, qu'ils devaient pimenter un peu leur fade cuisine à la Coppée, et qu'à l'orientalisme, l'impressionnisme était aussi nécessaire en littérature qu'en peinture. Ils faisaient comme ces artistes parisiens qui, venant ici pour la première fois, traitent nos rues ensoleillées dans les tons gris des paysages du Nord." (La Renaissance du Livre, Paris 1923).
(3) Alexandre Fichet (1881-1968): grand animateur de la vie culturelle en Tunisie, il présida le Salon Tunisien de 1912 à 1968. Durant la seconde guerre mondiale, il a été déporté en Silésie, ce qui interrompit l'activité du Salon, mais il en revint à la fin de la guerre.
Salon Tunisien, 1950; au centre, Jules Lellouche, derrière lui, Abdelaziz Gorgi.
(1) Les livrets du Salon Tunisien sont aujourd'hui difficiles à trouver. Cependant, ils constituent un outil indispensable pour les chercheurs qui s'intéressent à l'histoire de la peinture moderne en Tunisie (notamment pour la période coloniale). Il serait donc utile de pouvoir les rassembler dans leur totalité et les classer suivant un ordre chronologique. A ma connaissance, seuls quelques particuliers en possèdent quelques uns (Galerie Hamadi Chérif, Sidi bou Saïd, Galerie Moncef Msakni, La Marsa). Personnellement, je dispose de quelques livrets ayant appartenu, au début du siècle dernier, à M'hammad Lasram, ancien "Directeur des plantations d'oliviers à la Direction de l'Agriculture", en sa qualité de commissaire adjoint à la Section industrielle (Salon 1896). Il s'agit des livrets relatifs aux années : 1895, 1896, 1897, 1907, 1911, 1912, 1913, 1914, 1920, 1921, 1922 + Exposition Jossot (Salon Tunisien 1912, Salle D). (J'ai fait don de ces documents, qui sont en ma possession, à la BNT, en les remettant à la directrice de cette honorable institution, Mme Raja Ben Slama, le 17 janvier 2019). (En outre,quelques numéros se trouvent également déposés à IBLA (Tunis) et une collection assez complète, datant de la période 1956-1970, est conservée à la médiathèque du musée Quai Branly (Paris)
(2) Concernant la littérature et l'art amenés par les écrivains et les peintres coloniaux, Albert Canal note dans son livre "La littérature et la presse tunisiennes de l'occupation à 1900" : "Nos anciens n'ont pas compris qu'ils coudoyaient un monde nouveau plein de richesses magnifiques, que pour chanter ce soleil aveuglant, ces rues pleines de gens bruyants et de choses éclatantes, il fallait des mots et des images à brûler l’œil et à crever le tympan, qu'ils devaient pimenter un peu leur fade cuisine à la Coppée, et qu'à l'orientalisme, l'impressionnisme était aussi nécessaire en littérature qu'en peinture. Ils faisaient comme ces artistes parisiens qui, venant ici pour la première fois, traitent nos rues ensoleillées dans les tons gris des paysages du Nord." (La Renaissance du Livre, Paris 1923).
(3) Alexandre Fichet (1881-1968): grand animateur de la vie culturelle en Tunisie, il présida le Salon Tunisien de 1912 à 1968. Durant la seconde guerre mondiale, il a été déporté en Silésie, ce qui interrompit l'activité du Salon, mais il en revint à la fin de la guerre.
Khaled Lasram
Le Temps, 10 mai 1994
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