"Abdelaziz Ben Raïs, Aux Origines de la Peinture en Tunisie"
Il a fallu de longues et patientes recherches pour retrouver
chez des collectionneurs avertis les toiles qui sont reproduites dans ce livre
et qui nous révèlent un peintre et une œuvre restés trop longtemps inconnus du
public.
Il s’agit pourtant d’un artiste qu’il faudra désormais
considérer comme l’un des fondateurs d’une peinture de chevalet tunisienne mais
aussi comme l’un des peintres importants de la Tunisie durant la première moitié
du XXè siècle. Parce que Abdelaziz Ben Raïs est un peintre véritable ; sa
vie entière, il n’a fait que peindre, sans doute parce que, comme sans doute
Claude Monet « il ne savait rien faire d’autre ». C’est ainsi que
s’est affirmé le tempérament d’un artiste amoureux des hommes et de la nature,
un passionné de la lumière qu’il capte avec un talent consommé.
Malgré son handicap (il était sourd et muet), ou peut-être en
raison de son handicap, A. Ben Raïs a su appréhender avec une infinie tendresse
sa ville, ses aventures, sa Médina, ses ruelles de banlieues…Qu’il s’agisse de
dames conversant sur un banc public, de bourgeois cosmopolites attablés sur la
terrasse d’un café ou de passants dans les ruelles de la Médina, les
personnages ont dans ses toiles une présence qui révèle une profonde sympathie
et un attachement sincère de la part de l’artiste.
S’il a privilégié les sujets que lui inspire son
environnement à la fois traditionnel et moderne, il a échappé à l’écueil de
l’exotisme et du folklorisme. Il a su mettre au service de sa sensibilité et de
da sincérité une parfaite maîtrise technique. Là est le secret de son génie.
(Mohamed Masmoudi, fondateur de Sud Editions)
Entretien avec… Khaled
Lasram, auteur du livre : Abdelaziz Ben Raïs, aux origines de la peinture en
Tunisie
Khaled Lasram
est une figure bien connue et appréciée dans le milieu culturel tunisien.
Enseignant en histoire de l’art à l’Isbat depuis plus d’une vingtaine d’années,
ses recherches, menées avec discernement et rigueur, traitent généralement de
l’art contemporain en Tunisie. Il est aussi plasticien à ses heures; on connaît
ses peintures, exposées régulièrement dans nos galeries d’art, où s’affirme un
style personnel, mûr et accompli.
Aujourd’hui, il
consacre un livre sur l’un de nos artistes précurseurs, Abdelaziz Ben Raïs,
jusque-là méconnu du public et qui, pourtant, a foulé au même moment que Yahia
Turki le domaine de la peinture de chevalet.
Le choix opté
pour cet artiste ne tient pas compte uniquement de l’intérêt historique et
documentaire de ses œuvres, mais aussi et peut-être surtout de leur valeur
artistique. Car il s’agit, à travers ses peintures, d’un véritable hymne rendu
à la lumière de notre beau pays et à ses doux rivages méditerranéens,
témoignant d’une habileté certaine dans l’exécution, d’une sensibilité vive et
d’un goût sûr.
L’ouvrage de
Khaled Lasram, essentiel à la connaissance de la peinture tunisienne, couvre la
période allant du moment de la création du Centre d’art en 1923, année durant
laquelle Ben Raïs s’y inscrit, jusqu’à la mort de l’artiste en 1962. Une place
non négligeable est accordée aux événements qui ont marqué cette époque,
faisant l’objet de notices fournies, qu’il s’agisse de foyers culturels,
d’associations ou de groupes d’artistes et qui permettent d’ancrer
historiquement le parcours de notre peintre.
La vie
singulière et hors du commun de Abdelaziz Ben Raïs, frappé depuis sa tendre
enfance d’une surdimutité qui l’a accompagné sa vie durant, est raconté dans
toutes ses circonstances, à travers des détails souvent pittoresques et
savoureux, dans un style alerte et élégant, à la manière d’un roman.
Nous nous sommes
entretenus avec l’auteur à propos de son livre, qui paraîtra dans les prochains
jours grâce à l’excellente initiative de «Sud Editions», qui s’applique, depuis
quelque temps, à diffuser une série d’ouvrages d’art dont récemment le fameux
Tunis, naguère et aujourd’hui de Zoubeïr Turki, épuisé depuis longtemps et
paraissant de nouveau sous forme d’un élégant volume de mêmes dimensions que
l’original.
Vous êtes
connu en tant que plasticien, enseignant et chercheur. Pensez-vous que votre
livre est à la fois marqué du sceau de cette triple expérience?
Certes, mon
intérêt pour l’art contemporain en Tunisie m’a amené à analyser, à travers une
série d’articles, une multitude de questions diverses, telles que les
différentes institutions qui ont été établies, avec l’installation du
Protectorat et qui ont préparé à l’affermissement des valeurs culturelles et
artistiques occidentales dans le milieu autochtone, les différentes étapes qui
ont jalonné l’évolution de l’art en Tunisie, les groupes d’artistes et la
création de l’Ecole de Tunis, la chronique d’art et les comptes rendus
d’expositions, le marché de l’art, etc. Autant de questions clés que j’avais
traitées et qui m’ont incité à m’intéresser de plus près à quelques artistes
éclaireurs, parmi les précurseurs, dont Abdelaziz Ben Raïs. Ce dernier a retenu
particulièrement mon attention, vu que son œuvre, assez remarquable, demeure
peu connue du public amateur.
Parallèlement à
tout ce qu’a pu me révéler la discipline de l’histoire de l’art, comme modes de
lecture et comme méthodes efficaces d’accès aux œuvres, ma pratique de la
peinture m’a certes préparé à mieux appréhender les productions de Ben Raïs, à
considérer leur aspect proprement plastique et surtout à les placer dans leur
contexte culturel et social.
Votre livre
paraît être plus qu’une étude sur la vie et l’œuvre d’un artiste, il soulève
tout un ensemble d’éléments d’ordre historique, social ou esthétique touchant,
dans une vision plus globale, au champ de l’art pictural en Tunisie…
Je n’ai pas
cherché à faire de ce présent travail une simple monographie, mais une
recherche plus complète et plus détaillée sur les premiers moments de la
peinture tunisienne et la réception de ce savoir-faire et de cette nouvelle
expression par nos artistes nationaux. Loin de me limiter à une expérience individuelle,
j’ai donc opté pour une grande diversité dans l’information en intégrant des
faits, des événements. L’histoire de l’art ne pourrait être simplement
historique et ne limite pas son ambition à faire l’histoire des artistes. Elle
prend aussi en compte les facteurs socio-culturels et idéologiques qui peuvent
influer sur la vision de l’artiste et déterminer sa propre conception de l’art.
Car si, d’une certaine manière, tout créateur de quelque originalité, mène une
aventure solitaire, il n’en est pas moins vrai que le recours à des notions
tantôt historiques, tantôt purement esthétiques demeure indispensable si l’on
ne veut pas s’égarer.
Propos
recueillis par Bady Ben Naceur
Source: La Presse 10 Septembre 2012
(Madame Manoubia Ben Ghedahem, Maître de Conférences en
Littérature à l’Institut supérieur des Langues de Tunis, a présenté l’ouvrage de Khaled Lasram sur Abdelaziz Ben Raïs au Colloque international qu’avait organisé, les 17 et
18 novembre 2020, l’ « Ichara » et le laboratoire « Langue
et formes culturelles » à l’Institut supérieur des Langues de Tunis. Son
intervention a eu beaucoup de succès et a suscité des interactions enrichissantes
auprès des intervenants.
En s’appuyant sur des projections en data-show de quelques
œuvres de Ben Raïs, Madame Ben Ghedahem a démontré à travers son discours qu’il faut impérativement
changer de mentalité concernant le phénomène de la surdité. Elle
considère que celle-ci n’est pas toujours un handicap, sauf si on le
veut. Le vrai problème, explique-t-elle, est un problème de moyens, de chances
données à l’enfant.
Le cas de Abdelaziz Ben Raïs reste un cas significatif : « Son milieu aisé et ouvert d’esprit » a été « une chance qui lui permit de dépasser ce qui était censé le handicaper. » Il trouva dans la peinture le meilleur moyen d’exprimer ses sensations. Alors que généralement, conclue-t-elle, on place les sourds parmi les déficients mentaux, un Tunisien, au début du siècle dernier, a réussi à montrer qu’il n’en est rien. »)
Tunisia
News- Number 676 -
September 30, 2006. P. 13.
ART BOOK BY “SUD EDITION”
“Life
and works of precursor Abdelaziz Ben Raïs by Khaled Lasram”
Khaled Lasram is a well-known and appreciated figure
in the Tunisian world of culture. A teacher in Art history at the Fine
Arts H Institute for over twenty years, his research witch he conducted which
he conducted with discernment and rigor, generally deal with contemporaneous
art I Tunisia. He is also a visual artist when he feels like it; his
well-known paintings are regularly exhibited in our art galleries where a
personal, mature and accomplished style is asserted. Today, he is devoting a
book about one of our precursor artists, Abdelaziz Ben Raïs, until now ignored
by the public and who, however, stepped into the world of easel painting at the
same time as Yahya Turki.
The choice taken for this artist does not take
into consideration only the historical and documentary interest of his works, but also perhaps their
artistic value. For, through his paintings, it is a true hymn to the light of
our beautiful country and to its sweet Mediterranean shores, giving evidence of
a true sill in the execution, of a great sensitivity and of a reliable taste.
Essential to the knowledge of Tunisian painting
haled Lasram’s work covers the period that goes from the time the Art Center
was founded in 1923, the year when Ben Rais enrolled there, until the artist’s
death in 1962.
A by no means insignificant place is granted to
the evets that marked that period, being the subject of extensive notices, be
they cultural centers, associations or groups of artists that allow our
painter’s career to be historically rooted.
The remarkable ad unusual life of Abdelaziz Ben
Rais, who had been struck ever since his early childhood by deaf-and-dumbness
that stayed with him all along his life, is depicted in all of its
circumstances, through often colorful and delightful details, in a lively and
smart style, in the form of a novel.
His book is to be published in the next few
days thanks to the excellent initiative of “Sud Editions” that has, for some
time, been endeavoring to circulate a series of Art works, among which the
famous Zoubeir Turki’s Tunis, in the Past and Today, out of print for a long
time and appearing under the shape of an elegant volume that has the same
dimensions as the original.
You are known as a visual artist, a teacher and
researcher. Do you think that book is marked by the seal of this triple
experience?
Indeed, my interest in contemporaneous art in
Tunisia has led me to analyze, though a series of articles, a multitude of
various questions, such as the different institutions that were established with the settlement of the Protectorate and
that led to the strengthening of Western cultural and artistic values in the
native milieu, the different steps that punctuated the evolution of art in Tunisia, the groups of artists and
the creation of the Tunis School, the Art chronicle and the exhibitions
reports, the art market, etc. As many key issues that I had dealt with and that
led me to look more closely at some guiding artists, among the precursors,
Abdelaziz Ben Rais being one of them. The latter attracted my attention
particularly, as his rather remarkable work is still very little known by the
amateur public.
In parallel to all that the subject of art
history has been able to reveal to me, as modes of reading and as efficient
methods to have access to the works, my practice in painting did, indeed,
prepare me to better apprehend Ben Rais’s productions, to consider their
specifically visual art aspect and mostly, to place them I their cultural and
social context.
Your book seems to be more than a research on
an artist’s life and works, it brings up a whole set of a historical, social or
esthetic order having to do, in a more global vision, with the field of visual
art in Tunisia…
I did not try to do with this current work a
simple monograph, but a more complete and more detailed research on the first
moments of Tunisian painting and the and the reception of this know-how and of
this new-expression by our national
artists. Instead of limiting myself to an individual experience, I have thus,
opted for a greater diversity in the information by integrating facts, events. Art
history could not be simply historical and it does not limit its ambition to
make artists’ history. It also takes into consideration the socio-cultural and
ideological factors that may have an impact on the artist’s vision and
determine his own conception of art. For, if, in a certain way, every creator
of any originality, leads a solitary adventure, it is no less true that having
recourse to notions that are, once historical, and once purely esthetic remains
necessary if we do not want to wander from the point.
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